«Julien, je t’aimerai toujours.» La phrase inaugurale du film de Valérie Donzelli claque comme un slogan censé instaurer le régime de croyance – un mot d’ordre, une injonction. La croyance en cet amour absolu et subversif né dès l’enfance entre un frère et une sœur dans un pays (qui semble s’appeler la France) gouverné par un roi, ceci dans un temps incertain. L’un des partis pris de Donzelli (sur un scénario de Jean Gruault écrit pour François Truffaut, qui a peut-être eu la bonne idée de ne pas le réaliser) est en effet l’anachronisme : un hélicoptère (Peau d’âne), des micros au procès, et une bande musicale très jukebox. C’est une autre manière d’enfoncer le clou du slogan : cet amour est éternel, il résiste au temps, traverse les âges ; aussi une façon de parler du contemporain – où l’intolérance n’a pas disparu : attention, avalanche d’allégories. Et comme cela ne suffisait pas, on finira par un peu de cosmique, Donzelli revisitant Malick, ça donne une soupe qui ne manque pas de sel.
Constellation de signes
Il est étonnant comme tout fonctionne dans Marguerite et Julien par le biais d’effets de cinéma (et non par une mise en scène : une disposition des corps dans l’espace), le film est une constellation de signes visuels et un bombardement sonore/musical qui s’affirment en tant que cinéma (on pense au «cinéma filmé» caractérisé par Jean-Claude Biette, que Serge Daney reprit pour parler de Jean-Jacques Beineix). Aussi, ces signes univoques s’imposent, rien ne peut en émerger d’autres qu’eux-mêmes – quand on a vu Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul à la séance d’avant, l’effet est pour le moins redoutable. La société est corsetée : on fige les personnages dans des postures pendant que la caméra exécute des arabesques. Il est assez stupéfiant comme Valérie Donzelli paraît dépourvue d’une pensée de l’espace et du temps, cela concerne aussi la direction des acteurs, où l’artifice outrancier n’est pas bien ajusté et ne prend pas – en dépit du talent de certains comédiens.
Pour Valérie Donzelli, un film d’époque non momifié dans la naphtaline est donc un conte pop (c’est bizarre comme tout sonne comme un slogan) carburant au romanesque baignant dans ce déluge d’effets : tout montrer, ne surtout pas donner la possibilité du déploiement d’un imaginaire – par exemple dans le hors-champ derrière une porte où Marguerite va passer un sale quart d’heure avec le mari qui lui a été imposé. Par son grotesque satisfait, Marguerite et Julien pose question quant aux choix artistiques de l’officielle en compétition – Arnaud Desplechin sait, entre autres choses, un peu mieux diriger des acteurs, s’inscrire dans le romanesque, organiser des ruptures de tons et de formes dans Trois souvenirs de ma jeunesse.
Fil de l’enfance
Valérie Donzelli n’a pas su se saisir de ce qui aurait pu fertiliser. Notamment cette narration où une jeune femme lit l’histoire de Marguerite et Julien à une assemblée dans un dortoir ; tout à coup le chœur d’enfants réagit, puis l’un d’eux redirige le récit. Belle idée, abandonnée. L’enfance – et la tragédie de ne plus être enfant – aurait pu être un fil autrement plus intéressant, particulièrement quand les amants se retrouvent à l’âge adulte, et que leur jeux d’enfants sont devenus des jeux sexuels – ou l’étaient peut-être déjà. Tout ceci aurait pu être fort troublant, mais à condition de le travailler et non de passer dessus comme on file au prochain rendez-vous. Mais Donzelli était rivée à sa sainte trinité pop-conte-romanesque ; elle tient fièrement son cap, mais de la façon la plus calamiteuse.