Conte de Noël chez l’oncle Sam, La Légende de Despereaux est un nouvel exemple de la tendance « un livre a du succès ? vite-vite-vite-vite un film !» Paru aux États-Unis en 2004, le livre de Kate DiCamillo n’aura donc attendu que cinq ans pour devenir à l’écran un film-prétexte, sorte de catalogue d’erreurs diverses et de charmes insuffisants. Intrigant, mais raté.
Il était une fois… un rat. Un rat pas comme les autres. Lui sait que les humains peuvent être amicaux : il parle avec eux et pour ne rien gâter, il est fin gourmet et adore la cuisine. Rassurons vite nos attentifs lecteurs : ils ne se sont pas trompés de critique, et notre site fonctionne toujours bien. Mais il est indéniable que La Légende de Despereaux semble reprendre avec une troublante malhonnêteté l’argument du Ratatouille de Brad Bird, à tel point que cela en est presque gênant. Mais ce rat-là n’est pas cuistot, et Despereaux ne prend pas place à Paris, mais dans le royaume de Dor, célèbre pour… sa soupe. La soupe, c’est l’art suprême, la fête nationale, le symbole du pays de Dor ! Pour un peu, les habitants en useraient à la place du sang. Lorsque Roscuro, notre rat susnommé, tombe suite à un faux pas dans l’assiette de la replète souveraine de Dor, celle-ci décède d’une crise cardiaque, et son mari, fort marri, décrète un double bannissement : sont désormais illégaux les rats… et la soupe. Dès lors, le royaume de Dor tombe dans une grise tristesse – mais c’est compter sans l’intrépide souris Despereaux, qui n’a de cesse de ramener le sourire sur les lèvres de la jolie fille du roi !
Le grand tort de cette Légende de Despereaux aura finalement été de ne pas savoir choisir son public : le film ne parvient ainsi pas à concilier ses érudites citations de Bruegel et Arcimboldo avec le public-cible, les plus jeunes ; non plus qu’il ne parvient à équilibrer les deux récits pourtant d’égale importance, le désir de rédemption du rat Roscuro et les idéaux chevaleresque de la souris Despereaux. Visuellement, La Légende de Despereaux représente un pari intéressant : créer un monde médiéval qui doit visuellement plus aux enluminures et aux peintures classiques qu’à l’idée qu’on se fait traditionnellement du Moyen-Age. Arcimboldo est ainsi convoqué dans le personnage familier du cuisinier royal, Bruegel dans les habits, les bâtiments – on peut même se risquer à vouloir discerner Bosch dans la ville souterraine des rats. Le travail sur la lumière peut être parfois remarquable, et rend justice à cet univers visuel hybride et ambitieux.
D’autant plus amer est le ratage total que constituent tous les éléments sortant de la liste susnommée : ainsi, si les souris et les rats restent correctement dessinés et conçus, aucune audace n’a manifestement présidé à leur création (Roscuro continuant la longue et agaçante liste des personnages animés modelés selon leur acteur vocal, ici Dustin Hoffman). Quant aux humains, traditionnellement laissés en retrait dans un film centré sur ses personnages animaux, la pauvreté de leur animation laisse malgré tout pantois. Malheureusement, si le travail scénaristique et de mise en scène manquent singulièrement d’intérêt, c’est pour des raisons plus graves encore. Que la narration soit d’une mièvrerie, d’un infantilisme confondants – soit. Mais que cette mièvrerie oblige les personnages à devenir une galerie sans âme, pour lesquels aucun temps n’est pris afin de les développer correctement est véritablement dommage. Le scénario en souffre lui aussi, et qui pourra bien longtemps croire à cette histoire de soupe ? Quant à l’incapacité des réalisateurs à faire face aux gageures d’un récit à deux axes (Roscuro et Despereaux), elle fait peine à voir, et annihile finalement toute efficacité narrative.
Projet initialement porté par Sylvain Chomet (réalisateur des Triplettes de Belleville), Despereaux déçoit beaucoup, notamment en regard de l’audace de certains partis-pris visuels. Soutenu par une kyrielle de stars en interprètes vocaux (Matthew Broderick, Dustin Hoffman, Frances Conroy, Emma « Hermione » Watson, Kevin Kline, William H. Macy ou Frank Langella), La Légende de Despereaux aurait peut-être gagné à payer moins cher son casting, pour consacrer son budget à quelques minutes de plus qui en eussent fait autre chose qu’un patchwork narratif bâtard et agaçant.