Après l’expérience — peu concluante — des voitures anthropomorphes de Cars, le duo Pixar/Disney revient à une narration plus traditionnelle avec l’histoire de Rémy, le rat qui voulait devenir cuisinier. Sens du rythme, dérision affûtée, à‑propos de la caricature, technique parfaite : Ratatouille mérite le public des Indestructibles. C’est-à-dire : tout le monde !
Rémy est un rat incompris. Sa (très) grande famille se nourrit de … tout ce qui passe, à l’ombre d’une bicoque campagnarde. Mais Rémy rêve à un ailleurs, où il pourrait laisser parler son goût immodéré pour la cuisine. Lorsque les circonstances l’amènent dans les cuisines du grand restaurant parisien « Chez Gusteau » — son idole — Rémy décide de ne pas laisser passer l’occasion. Mais comment un rat pourrait-il devenir cuisinier ?
Pixar et la France, ce n’était jusqu’à maintenant que l’éphémère et hilarant super-méchant secondaire des Indestructibles, « Bomb voyage », le voleur snob au look de mime. Le clin d’œil souriant pouvait-il passer à l’heure et demie de parodie ? Car c’est à Paris que se déroule Ratatouille, un Paris rêvé, qui évoque plus celui de Ninotchka de Lubitsch, que celui de tout autre film. Dans les deux films, le décor ne sert que de support aux personnages, à la différence d’un Moulin Rouge ou d’un Paris, je t’aime où, de façon plus ou moins heureuse, le décor prend largement le pas sur les protagonistes. Le cinéma de Brad Bird, tel que Ratatouille et Les Indestructibles permettent de le définir, est surtout un cinéma de personnages : il importe que ceux-ci préexistent à tout ce qui les entoure. Ainsi, dans Les Indestructibles, la culture et les références aux comics n’ont aucunement étouffé l’histoire de la famille, de même que dans Ratatouille, la parodie de l’image de la France n’étouffe en rien le drame vécu par le jeune Linguini, le cuisinier qui ne sait pas cuisiner. La recette fait ses preuves, et le soin apporté à la cohérence réaliste du récit (par exemple : les rats ne parlent pas, même si Rémy comprend Linguini) permettent de mettre l’accent sur les personnages, auxquels sont inféodés tous les autres aspects du film, perfection de l’image comprise.
Car, bien qu’il devienne redondant de s’extasier sur la perfection des possibilités offertes par l’animation informatique, Ratatouille est une merveille visuelle. Mais à la différence de Cars, le film ne se contente pas de se reposer sur ses performances graphiques, mettant celles-ci au service d’un récit qui joue à fond la carte du slapstick. Le traitement du mouvement, qui est évidemment générateur d’énormément de potentiel dans le cadre encombré d’une cuisine, est impressionnant de réalisme. Comme dans Les Indestructibles, Brad Bird a par contre tenu dans Ratatouille à adopter pour ses personnages un graphisme stylisé propre à son univers visuel, et proche de celui de son précédent film. Les décors sont ceux d’un Paris éminemment expressif, dans un style visuel qui évoque le Technicolor des années 1950. Les interprètes vocaux, enfin, ne doivent pas leur rôle à leur seule notoriété (le seul nom bien connu de la distribution étant l’interprète du merveilleusement haïssable critique culinaire Ego, Peter O’Toole) — comme il semble que cela soit toujours plus le cas dans des productions comme la saga Shrek.
Indéniablement, le travail de Brad Bird pour Pixar/Disney est important à plus d’un titre. Car le réalisateur (qui est également scénariste) fait montre d’une belle culture cinématographique, et il est parvenu, avec ces deux films, à prouver que l’animation informatisée à l’américaine, que des productions comme les Shrek menacent de faire sombrer dans une uniformisation fade, peut définitivement être un média artistique fort. C’est d’autant plus méritoire que par deux fois, le réalisateur est parvenu à allier sans compromis le divertissement et l’art. Compliments au chef !