Il eût été navrant de passer sous silence l’excellent titre original de L’Étrange Pouvoir de Norman : « ParaNorman ». Cette laborieuse traduction semble d’ailleurs être la seule et unique faute de goût dans le film : pour le reste, les réalisateurs Chris Butler et Sam Fell (auquel on doit la ratée mais graphiquement fascinante Légende de Despereaux) transforment la comédie fantastique clin d’œil attendue en un tour de force cinématographique renversant.
Les premières images de L’Étrange Pouvoir de Norman donnent le ton : une héroïne court vêtue, incapable semble-t-il de faire deux choses à la fois (hurler et courir, par exemple) est aux prises avec un zombie affamé qui en veut à son – pourtant des plus minces, semble-t-il – cerveau. Et donc, crounch. Transition sur Norman, petit garçon collé à la télé qui diffuse le film d’horreur en question, engloutissant dans le même temps un plein bol de pop corn : crounch derechef. Quelques images suffisent à placer L’Étrange Pouvoir de Norman dans la grande tradition des Joe Dante et des Tim Burton, de ces réalisateurs ayant biberonné aux double features matinaux avec délectation. C’est encore Dante et Burton qui reviennent à l’esprit lorsqu’on apprend que Norman a un petit problème : il voit les fantômes aussi clairement que les vivants, ce qui le place définitivement au ban de sa famille, des enfants de son école, de la ville tout entière.
Jusque-là, rien de bien transcendant : si on est en terrain connu – après tout, la mise au ban de la différence est un des courants majeurs des thématiques de l’horreur et du fantastique –, on se doit, cependant, de guetter la surprise. Oh, et puis, qu’importe si L’Étrange Pouvoir de Norman n’est qu’un énième avatar du thème bien connu : on se laisse facilement porter par les choix esthétiques de l’équipe de Chris Butler et de Sam Fell. Très typé, l’univers esthétique du film laisse le champ libre à une peinture sarcastique de la middle class américaine, suppléé en cela par une mise en scène qui joue du cadre avec une ironie féroce. Insensiblement, pourtant, la donne change : quelques scènes vont permettre de poser l’univers de Norman, de montrer avec une justesse exemplaire sa solitude, son isolement, tandis que l’argument réel du film semble se dessiner : la ville où réside Norman fait feu de tout bois de son unique spécificité historique, la condamnation à mort d’une sorcière au XVIIIème siècle, et peut-être celle-ci n’est-elle pas tout à fait morte. Mais est-ce là vraiment le sujet central du film, où L’Étrange Pouvoir de Norman a‑t-il encore des surprises pour nous… ?
Le rythme échevelé du film, son sens du burlesque et de l’ironie très pointu masquent les changements de visage de L’Étrange Pouvoir de Norman, à tel point que l’on vogue au fil de l’histoire sans accrocs. Emporté par le courant narratif, le spectateur ne voit rien venir des changements de ton, de la profondeur émotionnelle qui l’attendent. Si l’on reliait le début du film à Dante et Burton, c’est ici un autre lien qui se dessine : on pense irrésistiblement au Coraline d’Henry Selick, un autre univers au dessin stylisé, à la thématique proche du conte fantastique et d’horreur, et au déroulement si prenant que les scènes finales laissent le spectateur éreinté. On y pense à raison, puisque L’Étrange Pouvoir de Norman et Coraline font partie (avec Les Noces funèbres) du catalogue du studio Laika, un studio qui entend manifestement se donner une image au moins aussi identifiable que Pixar.
Coraline et Norman : le couple persiste. L’un comme l’autre se situent à la frange du fantastique, dans le domaine du conte, l’un comme l’autre utilisent l’animation… l’un comme l’autre réservent des moments d’émotion d’une intensité, d’une pureté des plus rares. Rarement aura-t-on vu le média de l’animation aussi pleinement, intelligemment utilisé que dans ces films : ce qui n’était qu’en germe dans Coraline éclate avec une intensité étonnante dans Norman. Là où le Pixar de l’été, Rebelle, était handicapé par une certaine hétérogénéité narrative, la fluidité de Norman impressionne réellement : Coraline laissait entrevoir des promesses enthousiasmantes, Norman les confirme toutes avec brio.