Après Mon frère est fils unique, Daniele Luchetti a décidé de s’immerger dans les milieux populaires italiens par le biais d’un drame social abordant le thème du deuil. Malgré un certain talent dans la captation des sentiments et une absence de misérabilisme dans la description de ses personnages, le cinéaste ne convainc pas en raison d’une approche trop succincte, et parfois bâclée, des nombreux sujets qu’il souhaitait traiter.
Les cinéastes italiens, notamment « classiques », ont souvent porté une attention particulière aux classes populaires. De Rossellini à De Sica, en passant par Pasolini (première période), les frères Taviani ou encore Dino Risi, les corps sociaux prolétaires ont inspiré des chefs‑d’œuvre difficilement égalables. Un héritage artistique très lourd à assumer pour les réalisateurs des générations suivantes, sans pour autant les décourager. Après s’être intéressé à l’Italie des années 1960 et 1970 dans l’apprécié Mon frère est fils unique, Daniele Luchetti s’attaque lui aussi à ce sujet en décrivant la vie des milieux populaires transalpins d’aujourd’hui. Récompensé à Cannes en 2010 (prix d’interprétation pour Elio Germano), La Nostra Vita prend la forme d’un drame social : le cinéaste conte l’histoire de Claudio, un ouvrier dans le bâtiment, très amoureux de sa femme qui est enceinte de leur troisième enfant. Malheureusement, elle décède lors de l’accouchement. Perdu, malgré le soutien sans faille de sa famille et de ses amis, le jeune homme décide de se lancer sans relâche dans le travail en dirigeant un chantier interminable.
La force de La Nostra Vita est d’éviter le misérabilisme : les milieux décrits sont filmés avec une caméra aimante, qui capte avec naturel les sentiments des protagonistes au plus près de leur corps, loin de l’élitisme de nombreux réalisateurs, incapables de dessiner les contours d’une classe souvent caricaturée à l’extrême. Malgré un sujet délicat à aborder, le film baigne dans une lumière chaleureuse et des notes d’humour bienvenues. Luchetti cherche surtout à montrer des personnages situés dans un entre-deux social, entre pauvreté et aisance financière, qui ont accédé à une certaine qualité de vie depuis l’avènement de la société de consommation. Tentés par ce que cette société peut leur donner, ils sont alors avides de réussites sociales et pensent que l’argent règle tout, même la mort : Claudio essaie d’oublier le décès de sa femme en gagnant un maximum d’euros pour ses enfants et en leur achetant des biens matériels devant combler le vide affectif. Le réalisateur décrit aussi, mais très succinctement, le racisme quotidien et mortifère qui gagne des Italiens ordinaires au contact d’immigrés, notamment clandestins, abonnés aux plus basses besognes. Ils forment une nouvelle classe prolétaire, silencieuse et largement déconsidérée en raison de leurs différences ethniques.
Mais, si toutes les thématiques du film sont pertinentes, le cinéaste ne fait que les effleurer. Malgré quelques très belles séquences, il se laisse aller aux généralités et raccourcis comme le fameux « pour être riche, il faut être un salaud ». Ce constat s’applique d’ailleurs au traitement du drame lui-même : si l’Italien s’avère un metteur en scène intéressant, il ne sait pas filmer l’indicible douloureux provoqué par la perte de l’être cher. Esquissés, les protagonistes n’ont pas assez de contenu pour que l’on puisse s’y attacher, comme cette épouse qui disparaît trop rapidement, sans que le film nous donne la possibilité de cerner davantage sa personnalité. Le manque sentimental touchant Claudio est alors difficilement partagé par le spectateur. Les tentatives cinématographiques maladroites et déjà-vus pour évoquer son souvenir (quelques photos éparpillées ici et là) ne sont pas à la hauteur de ce que l’on peut attendre d’une œuvre traitant d’un tel sujet. Nanni Moretti, Wong Kar-wai (son magnifique 2046) ou encore Kore-Eda nous ont livré des propositions cinématographiques bien plus maîtrisées et originales sur des thèmes comparables. La mort est ici traitée de façon un peu trop mécanique, répondant à un dispositif scénaristique grossier qui a pour unique dessein de préparer une deuxième partie dissertant sur la vie nouvelle de Claudio.
Luchetti fait surtout l’erreur de parasiter son drame premier par une histoire secondaire, un accident meurtrier et empreint de lâcheté qui touche la famille d’un ouvrier roumain. Cet éparpillement engendre une collision scénaristique, malgré un traitement intéressant, qui empêche, encore une fois, d’aller plus en profondeur. Ces différentes maladresses provoquent une certaine tiédeur dans l’approche du drame principal, le cinéaste ayant voulu brasser un trop grand nombre de sujets (la famille, la rédemption, l’avidité, la situation de l’Italie contemporaine) dans une durée réduite (1h35). Il en résulte un goût d’inachevé, entachant la très bonne prestation d’un Elio Germano pourtant survolté.