À Rome, en 1974, Guido se rêve en artiste avant-gardiste. Pour cela, il se veut transgressif, provocateur, libre de toute attache. Mais c’est sans compter sans sa femme, Serena, qui rêve d’une vie plus traditionnelle et voit d’un mauvais œil la complicité de Guido avec ses modèles féminins… Leurs fils, Dario et Paolo, dix et cinq ans, sont les témoins muets de leur relation passionnée. À travers le regard de l’aîné, Ton absence décrit le parcours d’un couple en quête d’une harmonie impossible, entre confort bourgeois et envie de liberté.
Affaires de famille
Avec ce douzième long-métrage, Daniele Luchetti s’enfonce un peu plus dans son exploration de la famille, commencée en 2007 avec Mon frère est fils unique et poursuivie avec La Nostra Vita en 2010. Mais, au fil du temps, l’ambition de son cinéma se dilue de plus en plus dans une sentimentalité lisse, malgré la volonté louable de mêler l’intime à l’historique. Avec ces trois derniers films, le cinéaste a entrepris de décrire les contradictions de la société italienne à différentes étapes de son histoire contemporaine. La cellule familiale serait ainsi le microcosme évident pour synthétiser les préoccupations d’une époque… Après un récit sur les particularités politiques de l’Italie des années 1960, elle fut le lieu d’une réflexion sur le deuil et le complexe de classe, avant de permettre le portrait des ®évolutions culturelles des années 1970. Mais la passion de Luchetti pour ses personnages canalise toujours l’ampleur possible du propos : qu’il s’agisse de l’engagement politique dans Mon frère est fils unique ou de la liberté sexuelle et l’émancipation féminine dans Ton absence. Cette fragilité est d’autant plus criante que, cette fois-ci, le récit se veut inspiré de l’histoire des Luchetti. Sans être strictement autobiographique, Ton absence met en jeu des tensions conjugales et familiales issues des souvenirs d’enfance de Daniele, qui se met en scène sous le nom du jeune Dario. « J’ai réinventé ma famille », confie Luchetti, « mais j’ai eu l’impression que les personnages, par vengeance, tournaient le film comme bon leur semblait. » C’est bien l’impression qui se dégage à la projection, et c’est la faiblesse de ce film sensible, où le réalisateur se laisse vite emporté par son empathie pour ses personnages et sa proximité intime avec un sujet malmené.
Liberté, j’écris ton nom ?
Des mouvements transgressifs et libertaires des années 1970, Ton absence ne montre qu’une caricature : entre les happenings ratés de Guido, excédé par les critiques cinglantes et convaincu de la responsabilité de sa femme dans son échec, et le rassemblement féministe, où Serena explore brièvement une nouvelle sexualité. Heureusement, la trajectoire du film n’est pas contrainte par le seul regard du jeune Dario, comme on pourrait d’abord le craindre. Ainsi Luchetti observe les doubles de sa propre famille avec un regard d’adulte, pour décrypter un passé reconfiguré par l’expérience. Le film trouve alors son intérêt dans le déséquilibre créé entre ses deux protagonistes. Incapable de vivre dans sa famille, Guido (gesticulant Kim Rossi Stuart) fantasme une liberté qu’il n’assume pas vraiment et rejette son échec non sur son manque de talent ou d’audace, mais sur le conventionnalisme étouffant d’une épouse trop aimante. S’il se veut libre (et ne cesse de le crier jusqu’à en devenir risible), il ne l’est pas tant que Serena, seule vraie héroïne du film, interprétée avec nuance par Micaela Ramazzotti. Malgré cela, Ton absence demeure conventionnel dans sa forme et ne parvient jamais à se charger de la passion et de la liberté qu’il entend décrire.