Le générique d’ouverture de La Petite Bande, avec ses fautes d’orthographe volontairement grossières, fait sourire autant qu’il interroge. En embrassant pour la première fois le point de vue de jeunes héros (Cat, Fouad, Antoine, Sami et Aimé ont 12 ans), Pierre Salvadori serait-il tombé dans la facilité d’une malice convenue ? Les premières minutes du film, saturées de clichés du genre – cour de récréation, répliques candides et voix off en pleine mue – semblent aller dans ce sens. Il faut attendre que la petite bande du titre se forme pour comprendre ce qui intéresse véritablement le réalisateur : moins les gimmicks puérils d’une comédie prépubère que l’énergie résolument juvénile d’une écriture affranchie de tout esprit de sérieux.
Le scénario de La Petite Bande progresse ainsi au gré des élucubrations de ses protagonistes, quatre collégiens auxquels un exposé sur l’écologie inspire brusquement un projet d’attentat contre l’usine locale (« et puis d’un coup, ils ont eu un secret »). Tout le récit est à l’image de cette amitié improbable scellée en quelques secondes : un vol d’essence impliquant un kayak gonflable, une prise d’otage imprévue, un nouveau complice intégré à la bande dans le seul but de départager un vote (« il nous faut un cinquième ») ou encore l’accent anglais très approximatif que prend le nouveau venu quand il veut se rendre méconnaissable. Autant de trouvailles qui épousent la spontanéité naïve des cinq héros tout en s’inscrivant dans la continuité d’une filmographie traversée par le goût de la surprise et du déraillement. Au fond, les comédies de Salvadori ont toujours eu pour horizon ce retour joyeux à l’immaturité, jusqu’au récent En liberté !, où un personnage de grand enfant ahuri se laissait aller à des explosions de violence aux accents burlesques. Moins adulte et plus « familial » que les précédentes comédies du cinéaste, La Petite Bande apparaît pourtant moins comme un pas de côté que comme la synthèse de son cinéma. On y retrouve l’écriture ludique et parfois virtuose de Salvadori (ici accompagné de son coscénariste Benoît Graffin), mais aussi les faiblesses de sa mise en scène, souvent trop illustrative, bien qu’ici ponctuée de quelques visions plus inspirées : une succession de plans fixes sur des petits mots échangés en classe, une pluie de fleurs sur une épaule nue, l’ombre des personnages et de leurs masques d’animaux sur un rideau de fer, etc.
En terrain connu
Comme les jeux d’enfants, La Petite Bande a le charme de l’innocence, mais ne tient pas toujours la distance. Le temps de quelques séquences plus psychologisantes, sa belle empathie se mue en excès de pathos. C’est le revers d’un programme narratif reposant sur l’adhésion totale au point de vue des cinq ravisseurs en herbe (jusqu’à l’effacement des figures parentales, renvoyées à la violence des pères et à l’addiction des mères) : quand une tonalité plus grave s’invite brièvement dans le récit, la candeur de l’enfance paraît soudain moins digeste et plus fonctionnelle, à l’image de cette scène de confession collective qui rappelle la fin larmoyante du Breakfast Club de John Hughes. Devant La Petite Bande, on pense d’ailleurs souvent aux années 1980 et au mélange de légèreté et de mélancolie qui caractérisait des films tels que Les Goonies ou Stand by Me, dont l’ombre ne semble jamais très loin. Salvadori ranime ainsi cette jeunesse désœuvrée et bricoleuse, qu’il prive d’emblée de téléphone portable pour mieux l’ancrer dans le décor intemporel des forêts corses, où l’on fabrique des cabanes, des masques et des plans voués à l’échec. La fable écologique qui sert de prétexte au scénario est peu à peu supplantée par un rapport moins politique et plus intime à la nature, terreau des jeux les plus dangereux et des pactes d’amitié les plus solennels. Mieux intégré à l’intrigue qu’à la mise en scène, cet environnement sauvage ne se déploie véritablement à l’écran que dans la sortie de route finale, qui donne à Salvadori une dernière occasion d’embrasser le point de vue de l’enfance : chemise ouverte et boucles au vent, le petit Aimé domine un relief montagneux soumis au délire de son imagination et acquiert enfin la stature d’un super-héros.