La nouvelle comédie de Pierre Salvadori débute par une scène qui semble tout droit tirée d’un film policier inspiré de superproductions hollywoodiennes : un flic débarque dans un appartement et y massacre quantité de bandits grâce à sa force et son astuce hors du commun. On découvre alors que ce film dans le film n’est que l’illustration de l’histoire qu’une mère raconte à son fils avant qu’il ne s’endorme, dont le héros n’est autre que le père de l’enfant, désormais disparu. Cet homme idéalisé par sa famille et qui a reçu les honneurs de la police s’avèrera bientôt être un ripou, révélation qui va bouleverser Yvonne (Adèle Haenel), consternée d’avoir vécu pendant des années avec un homme qu’elle ne connaissait pas réellement. La question qui habite En liberté ! sera donc celle de l’identité, et plus précisément du rôle que peut jouer sur un être la façon dont celui-ci se raconte, pour lui-même et pour les autres. L’identité de son mari s’étant transformée dans son esprit, Yvonne décide de transformer en retour celle d’un homme injustement accusé de crime à cause de lui, en faisant de ce coupable un innocent. Le film est ainsi parcouru de changements de rôles, qu’ils soient volontaires ou non, qui ne cessent d’être commentés et prolongés par les dialogues et la structure du récit. De la même façon que les différents personnages apparaissent comme des miroirs les uns des autres, parfois déformés ou inversés, le film contient un nombre incalculable de situations se répétant avec des variations. La scène d’action qui ouvre le film s’actualisera ainsi au fur et à mesure, reflétant les sentiments d’Yvonne envers Antoine, et ce qu’elle juge que l’enfant prêt est à entendre.
Si En liberté ! débute à un rythme effréné sur le plan comique, notamment grâce à ses dialogues, il atteint encore un autre niveau lorsqu’Antoine (Pio Marmaï), l’innocent ayant passé huit ans sous les verrous, est enfin libéré. Yvonne se met alors à le suivre avec la vague idée de l’aider. Cela sera bientôt utile, étant donné que le séjour d’Antoine en prison a manifestement eu de sévères effets sur son psychisme. La victime de l’erreur judiciaire se transforme bientôt en délinquant, compliquant la tâche d’Yvonne, qui est policière comme feu son mari et se retrouve en train de protéger un homme qu’elle devrait combattre. Le film, plein de trouvailles et de surprises, fait alors se succéder les péripéties sans aucune baisse de régime. Malgré toute son incongruité et son caractère volontairement artificiel à certains égards, il accomplit le curieux exploit d’être aussi, de bout en bout, réellement émouvant. Le choix et la direction des comédiens, tous magnifiquement expressifs, contribue bien sûr largement à cette réussite. Mais par ailleurs, les mouvements tissés par le film sont suffisamment schématiques pour toucher à des problématiques essentielles. La question du couple et de l’amour traverse l’œuvre jusqu’à une fin sublime qui voit deux amoureux se retrouver autour d’une histoire, d’un fantasme qu’ils décident d’incarner ensemble. Une fois n’est pas coutume, le film semble non pas nous inviter à regarder la réalité en face, mais plutôt à accepter et embrasser les fictions qui structurent toute relation.