French comedy is not dead. À ceux qui pensent, à juste titre, que l’humour français se résume aujourd’hui à la beauferie assumée des Bronzés, Camping et autres Comme t’y es belle, monuments de cynisme destinés à remplir les tiroirs-caisses tout en vidant les cerveaux, quelques irréductibles amoureux du rire pas con creusent leur sillon et, bonne nouvelle, rencontrent le succès en chemin. Après le triomphe (public et critique) de l’inattendu OSS 117 en début d’année, le renouveau de la comédie franchouillarde passe cette fois par un hommage pétillant à Lubitsch, Audrey Hepburn et Buster Keaton, trois des influences majeures de ce nouveau film de Pierre Salvadori.
Comme toute bonne comédie romantique, Hors de prix se construit sur un quiproquo : celui qui pousse la croquignolette Irène (Audrey Tautou), petite poule de luxe qui jette son dévolu sur les pigeons fortunés, à faire la cour à Jean (Gad Elmaleh), barman dans un palace niçois qui, le temps d’un soir, se fait passer aux yeux de la belle pour un milliardaire. Sitôt le pot aux roses découvert, Irène se fait la malle mais Jean ne se décourage pas et la poursuit de ses assiduités. Puisqu’elle ne veut pas de lui à ses côtés, le courageux amoureux décide presque malgré lui d’abattre les mêmes cartes : devenu gigolo en vacances dans le même palace que la jeune femme, il va réussir à développer une vraie complicité, mâtinée de rivalité, avec celle-ci. Mais à quel prix ?
La trame est classique, le décor peu original, le casting un brin opportuniste… Sur le principe, Hors de prix ressemble à beaucoup de films en général et un en particulier : Quatre étoiles, sorti un peu plus tôt dans l’année, dans lequel José Garcia plumait Isabelle Carré et finissait, évidemment, par tomber amoureux d’elle – non sans l’avoir copieusement insultée pendant 1h45. Mais là où la comédie de Christian Vincent était lourde et rance, le film de Pierre Salvadori est léger comme une plume et pétillant comme une bulle de champagne. C’est que le cinéaste connaît – et assume – ses références : dans Hors de prix, on est chez Lubitsch ressuscité et francisé, où les dialogues font toujours mouche, où l’on rit avec les personnages (et non à leur détriment) et où l’humour puise son inspiration dans un contexte social finement suggéré – et non pas asséné comme dans Les Bronzés ou Camping (encore eux), caricatures grossières et complaisantes de la France sarkozyste. Il est d’ailleurs amusant de noter comment Hors de prix traite à sa façon de l’obsession numéro un du cinéma d’humour français : l’argent (moteur d’à peu près toutes les comédies sorties cette année, des deux films précités à La Maison du bonheur en passant par Comme t’y es belle, Les Aristos ou même Prête-moi ta main). Jean et Irène sont des perdants – comme la plupart des anti-héros des films de Pierre Salvadori, dans Les Apprentis, Comme elle respire ou Après vous. Le cinéaste place des personnages désespérés dans des situations sordides et parvient à y insuffler suffisamment d’humour pour que chacun en ressorte grandi. À la manière de Capra, son talent réside dans son aptitude à porter sur le monde un regard résolument généreux, où le cynisme n’a pas droit de cité. Ce qui, dans un film ayant pour décor un océan de vacuité (la jet-set de la Côte d’Azur), n’est pas une mince affaire. Jean n’a pas d’argent mais prétend en avoir pour séduire la femme qu’il aime ; Irène est tout aussi fauchée et pense que la seule façon d’être heureuse est de soutirer un maximum de fric à des hommes qu’elle n’aime pas. Pour arriver à ses fins, Jean devra s’abaisser au niveau d’Irène – en devenant gigolo à son tour, il tend ainsi à la jeune femme un miroir peu reluisant. Le talent de Salvadori résidant entre autres dans sa capacité à suggérer la cruauté et la détresse qu’implique une telle situation sans jamais avoir recours au pathos.
L’élégance de la mise en scène, constamment au service de son sujet, sert à merveille des dialogues ciselés comme des diamants que les deux comédiens magnifient avec un sens du timing relativement inédit dans nos contrées. On a longtemps loué le talent des Américains pour un comique de situation plein d’esprit qui, de la comédie burlesque de geste aux marivaudages romantiques, a donné naissance aux chefs-d’œuvre que l’on sait. Le travail exceptionnel fourni par les deux stars de Hors de prix est à la fois le fruit d’une parfaite connaissance de cette perfection presque inaccessible (celles des Cukor et Lubitsch, des Cary Grant et Katharine Hepburn) et d’un héritage assumé des rares génies comiques de l’Hexagone. Gad Elmaleh, par exemple, synthétise dans le même corps Buster Keaton, Pierre Richard et James Stewart sans jamais se départir de son talent naturel : une gaucherie résolument charmante qui le fait passer de façon tout à fait crédible du barman mal à l’aise au faux prince séducteur. Idem pour Audrey Tautou, dont le prénom fait ici plus que jamais honneur à l’autre Hepburn : féminine, espiègle, garce et finalement irrésistible, Tautou traverse le film un pied dans la légende hollywoodienne et l’autre dans la tradition française façon Arletty, moue boudeuse et intonations gouailleuses en guise d’héritage.
Tout un pan de l’histoire du cinéma incarné par deux acteurs dont l’alchimie n’a rien à envier à leurs modèles, une bien jolie façon pour Pierre Salvadori de proclamer son amour du 7e art. Sous ses airs de comédie hollywoodienne, Hors de prix est un film sur le plaisir de la mise en scène, du jeu, des faux semblants. À voir Irène promulguer à Jean divers conseils plus ou moins avisés sur la façon d’être un parfait séducteur, à regarder Jean se faire constamment passer pour ce qu’il n’est pas (un milliardaire, un gigolo, un prince), à se plier de rire devant les minauderies d’Irène usant de mille et un stratèges pour parvenir à ses fins, l’on comprend que ce qui intéresse Salvadori en premier lieu, c’est cette sorte de film dans le film, cette valse de clins d’œil et de correspondances entre passé et présent, cette étourdissante mise en abyme qui consiste à faire jouer à des acteurs des personnages qui s’inventent des personnages… Effets de miroir, jeux de double, Pierre Salvadori comble d’une pierre, deux coups les amoureux du cinéma et les amoureux tout court.