Lors de sa projection au dernier festival de Cannes, le nouveau film de Bertrand Tavernier a suscité des réactions pour le moins contrastées. « Chef‑d’œuvre !» s’extasiaient les uns, qui s’indignèrent de ne pas le voir figurer au palmarès. « Croûte académique !» s’exclamaient les autres, qui s’insurgeaient de sa présence en compétition officielle. Deux opinions également excessives, car La Princesse de Montpensier n’a de quoi déclencher ni l’opprobre, ni, hélas, l’enthousiasme. Plutôt une indifférence polie.
Tandis que les guerres de religion ensanglantent le royaume de France, quatre gentilshommes se disputent les faveurs de la jeune et belle Marie de Montpensier : le prince de Montpensier, le mari qu’elle n’a pas choisi ; le duc de Guise dont elle est éperdument éprise ; le comte de Chabannes, son précepteur et confident ; et le duc d’Anjou, frère du Roi.
Du roman très sec, presque synoptique, de Madame de La Fayette, Bertrand Tavernier et ses coscénaristes (dont l’inévitable Jean Cosmos) ont tiré un film de près de deux heures et demie. Ils ont tâché d’en moderniser le discours, avec un bonheur inégal. Si la condamnation de l’absurdité de la guerre reste assez convenue (le contexte historique est peu, et mal, exploité), l’idée de faire de la princesse une figure féministe avant l’heure était plutôt bien vue. Cherchant à s’émanciper par le savoir, dédaignant, par inexpérience et par tempérament, le jeu des conventions sociales, elle est cette « biche au temps du brame », courtisée par une poignée de prédateurs qui tournent autour d’elle comme autant de propriétaires convoitant le même bien. Les scènes de marivaudage – les meilleures du film – sont ainsi filmées comme des parties de chasse. Quant à la nuit de noces, glaçante, qui se déroule sous les regards des deux familles et des domestiques, elle est révélatrice de la condition des femmes de l’époque : de simples trophées, dont le corps ne constitue qu’une valeur d’échanges parmi d’autres.
Là où le film se montre maladroit au point de trahir ses intentions, c’est quand la princesse, à force de ne rien comprendre à sa situation ni aux manœuvres dont elle est l’enjeu, finit par apparaître comme une écervelée plutôt que comme une icône de la résistance à l’oppression masculine. Du coup, c’est son insipide mari qui passerait presque pour la principale victime de l’histoire… Mais l’œuvre originale était peut-être trop sexiste pour que son adaptation n’en souffre pas : Madame de La Fayette, si elle compatit aux tourments de son héroïne, ne l’en rend-elle pas entièrement responsable ? C’est son manque de « vertu » et de « prudence » qui lui feront tout perdre : « l’estime de son mari, le cœur de son amant et le plus parfait ami qui fut jamais » – et plus encore ! Dans le film comme dans le roman, la princesse sera punie, non seulement de n’avoir su rester à sa place, mais également de n’avoir écouté que ses passions, et d’avoir manqué, jusqu’au bout, du plus élémentaire discernement.
On devine ce qui a incité Tavernier, après la parenthèse américaine de Dans la brume électrique, à adapter un roman du XVIIe siècle : redonner ses lettres de noblesse à la fresque en costumes, un genre quelque peu tombé en désuétude auquel il s’est déjà frotté avec plus (Que la fête commence…) ou moins (La Fille de d’Artagnan) de bonheur. En reconstituant avec force détails la France du XVIe siècle, avec sa cour, ses batailles, son langage et ses usages, La Princesse de Montpensier prête le flanc aux railleries des médisants, à ceux qui ne pardonnent pas au cinéaste lyonnais d’incarner l’héritage de cette « qualité française » que combattirent les jeunes Turcs de la Nouvelle Vague.
Jusqu’à il y a peu, on avait envie de défendre les œuvres de Bertrand Tavernier contre ces critiques un peu faciles qui, au nom d’une conception de la modernité cinématographique qui accuse ses cinquante ans d’âge, les vilipendent systématiquement, en usant de termes d’une violence parfois stupéfiante. Mais quand bien même conserverait-on de l’affection pour les chefs-d’œuvre passés (Que la fête commence…, Coup de torchon…) d’un cinéaste à la personnalité attachante, force est de constater que ses derniers films sont de plus en plus faibles, de plus en plus indolents en termes de mise en scène. Dans La Princesse de Montpensier, ce relâchement s’exprime à travers une foule de détails : ainsi, dès la première scène qui s’ouvre sur un champ de bataille enfumé, on peut observer dans un coin de l’écran un figurant, à terre, parmi les agonisants et les blessés, qui sourit et fait l’imbécile avec son épée… Il est pour le moins surprenant que cet écart soit passé inaperçu au montage ! Les scènes de guerre sont d’ailleurs le principal point faible d’un film qui pourrait pourtant aisément s’en passer, tant elles n’apportent rien à l’intrigue. Illisibles, sans rythme, elles souffrent d’un terrible problème de crédibilité. Le moindre blockbuster américain fait preuve de plus d’imagination et de vraisemblance dans ses scènes d’action.
L’autre faiblesse de La Princesse de Montpensier, ce sont ses interprètes. On sent que Tavernier, à son habitude, a composé son casting avec soin, mais la sauce ne prend pas et personne ne paraît jouer dans le même film. Tandis que Raphaël Personnaz, affublé d’un maquillage outrancier et saugrenu, semble jouer dans une farce, Mélanie Thierry défend son personnage avec conviction. Ces deux-là sont les seuls qui parviennent à insuffler un peu de vie à l’écran : la plupart des autres acteurs, dont Lambert Wilson, jouent faux – la palme revenant à l’inexpressif Grégoire Leprince-Ringuet, qui ânonne ses répliques avec un manque de conviction consternant.
Pour autant, le film n’est pas la purge que d’aucuns annonçaient depuis Cannes. Mais il manque à cette Princesse de Montpensier, qui ne choisit jamais sa voie, soit la rigueur formelle qui la transformerait en une véritable tragédie, soit la fougue et la fantaisie qui en feraient une œuvre pleinement romanesque et populaire.