C’est l’histoire d’un petit garçon, orphelin de père, qui se trouve un objet transitionnel à la mesure des peurs de l’Amérique maccarthyste où se déroule le film : un robot de quinze mètres de haut, tombé du ciel et qui y retournera, mais qui, en attendant, dort dans une casse, à la fois gigantesque coffre à jouets et garde-manger (il se nourrit de métaux). C’est une histoire connue, où toute arrivée augure déjà d’un départ, toute rencontre d’une séparation. Ici, celle d’un gamin esseulé et d’une machine venue donner corps à son imagination débordante ; celle, aussi, d’un chevalier en armure maladroit qui se cherche un destin et le trouvera grâce à son jeune protégé. Pendant les quelques jours que durera leur amitié, ils apprendront, ensemble, à devenir la personne (et le robot) qu’ils veulent être, dans un monde polarisé où chacun est tenu de choisir son camp.
Équilibre de la terreur
Premier long-métrage de Brad Bird, Le Géant de fer est encore parfois, de ce côté-ci de l’Atlantique, considéré comme un banc d’essai pour son réalisateur avant son arrivée au studio Pixar, où sa vision serait parvenue à maturité avec Les Indestructibles et Ratatouille. Il est vrai que les techniques employées ici, qui hybrident imagerie générée par ordinateur (les mouvements du monstre d’acier) et animation traditionnelle (à peu près tout le reste), en font le vestige d’une époque révolue. En 1999, DreamWorks et Pixar se disputaient déjà les faveurs du grand public en usant de l’éblouissement 3D avec des fortunes diverses. Dix-sept ans plus tard, la ressortie en salles de ce conte moral remet en mémoire les raisons pour lesquelles Bird avait davantage sa place dans l’écurie de John Lasseter plutôt que chez son concurrent. Si le dessin est toujours redevable à l’esthétique Disney, chez qui Bird a fourbi ses armes dans les années 1980 (Rox et Rouky), il renonce en revanche à son bestiaire anthropomorphique, préférant ancrer son récit dans une histoire majuscule qui se drape dans le mythe du paradis perdu.
Nous sommes à Rockwell, petite ville portuaire du Maine, en 1957. Soit au plus fort de la Guerre froide, lorsque « péril rouge » et course aux armements nucléaires nimbent d’un halo délétère cette Amérique rurale si rassurante mais toujours prête à se terrer dans les abris antiatomiques au retentissement des sirènes. Bird excelle à capturer ce sentiment sécuritaire dérisoire qui étreint alors la nation toute entière, semblable à une boule à neige à tout moment susceptible de voler en éclats. Inspiré des peintures d’Edward Hopper, de N.C. Wyeth et surtout de Norman Rockwell, son goût de la ligne claire triomphe d’emblée, porté par une économie narrative qui ne s’épargne pourtant aucun détail. Une scène, parmi tant d’autres, l’illustre à la perfection. Le petit Hogarth défie du regard Kent Mansley, un agent fédéral suspicieux qui a momentanément élu domicile chez lui et sa mère célibataire. L’un et l’autre dorment dans des chambres en vis-à-vis, dont les portes restent obstinément ouvertes. Hogarth se couche, sourcils froncés et tête revêtue d’un casque d’aviateur. Sur la table de nuit, trône la photo encadrée d’un pilote de chasse, fièrement accoudé au cockpit de son engin. Furtive mais poignante évocation d’un père dont l’absence se passe d’explications. Souvenons-nous simplement que ce Géant de fer est librement adapté du bref roman qu’écrivit le grand poète britannique Ted Hugues pour réconforter ses enfants, que le suicide de leur mère, la non moins imposante Sylvia Plath, avait rendus inconsolables.
L’adieu aux armes
Irisé de mélancolie, le rétrofuturisme de Bird s’épanouit avec une simplicité de trait qui pourrait le rattacher à un courant néoclassique de l’animation, dont la limpidité sera peut-être mieux comprise aujourd’hui qu’en 1999, année zéro d’une nouvelle ère numérique, celle de Matrix (produit par le même studio, la Warner). Trompeuse simplicité qui n’empêche pas le film de s’aventurer, non sans une certaine réussite, dans des thématiques sociales et politiques à hauts risques. Fable antimilitariste, le film n’en dépeint pas moins avec nuances l’armée américaine, garante d’un patriotisme dans lequel les lâches n’ont pas leur place et les ogives nucléaires retombent sur la tête des inconscients ayant donné l’ordre de tirer. Tout sauf béat, le pacifisme prend ici le visage d’un sculpteur (et ferrailleur) beatnik, le premier à percer à jour le secret du colosse métallique. Établi en marge de la communauté, cet original hipster finira par l’intégrer, en se faisant le champion inattendu de ses valeurs. À la croisée des chemins entre libertarisme de gauche et mainstream, Dean – c’est son nom – fera, lui aussi, un choix ; entre guerre et famille nucléaires. En contrepartie de cette figure paternelle, le jeune Hogarth devra quant à lui renoncer à l’aimable géant qui fut son jouet, dans un inévitable adieu à l’enfance qu’il est temps de revisiter.