Plus connue par son travail de documentariste – Homi D. Sethna, Filmmaker (2000), Hommes de feu (2001) – Sepideh Farsi, Iranienne travaillant en France, œuvre aussi dans la fiction. Elle propose avec Le Regard un film d’exilé, un film qui parle de son rapport à la terre lointaine dans un mélange de pudeur légèrement nostalgique et de résignation lucide et acérée. La sensibilité du propos ne cesse pourtant de se diluer, plombée par une mise en scène statique et qui manque cruellement de pulsation.
Le nom d’Esfandyar renvoie à la mythologie perse, au Livre des Rois. Après avoir tué un dragon, il se baigne dans le sang de la bête, son corps devient d’airain. Mais son invulnérabilité n’est pas totale ; lors de son plongeon Esfandyar avait fermé les yeux, la mort le frappera par le regard, son talon d’Achille. Saisir le mythe et le réactualiser à l’aune de l’histoire iranienne, interroger le politique par le biais de l’imaginaire collectif : en quelques plans le décor du drame est planté. Le Regard raconte l’histoire d’un homme qui revient d’exil pour éclaircir les douleurs du passé. Les ténèbres menacent, il est encore temps de rassembler, d’agencer les bribes du passé, de combler les lacunes, de tenter, enfin, de faire image.
Esfandyar a quelques semaines pour revenir sur les points noirs de son existence. Il constate bientôt que vivre c’est accepter l’échappement des êtres, la puissance de la finitude, nos aveuglements… Alors qu’il s’agrippe et tente de résister à la coulée torrentielle de la vie, tout se défait, lui rappelant sans cesse le côté vain de sa mission : revenir sur un passé qu’on a cherché à oublier, c’est toujours chatouiller de vieux fantômes. Son père s’éteint à ses côtés ; ses frère et sœurs l’acceptent comme un étranger ; son vieil amour, après une tentative d’explication, le quitte en se retournant une fois comme pour lui dire encore : tu es seul. Passé et présent s’entrechoquent dans Le Regard, le visible est à la portée de tous. Le non-voyant aussi y a droit, il suffit seulement de ne pas être aveugle face à son existence.
La métaphore tente de chanter, mais pourtant, hélas, jamais elle ne vibrera. Les poumons ne sont pas assez ouverts, l’air vient à manquer dans ce film qui aurait pu être si beau. Le statisme au même titre que celui de la dilatation temporelle et de la gestion du temps faible est un parti pris courageux, stimulant pour la pensée, enthousiasmant pour le regard, encore faut-il qu’il soit parlant. Sepideh Farsi a été photographe. Dans tous les plans, cela se ressent. Les personnages ont bientôt du mal à respirer, du mal à vivre, abandonnés dans une mise en scène poussive, trop chargée en intention.