Le Temps des rêves s’ouvre dans une salle de cinéma désaffectée où l’obscurité n’est fendue que par un faisceau de projecteur blafard. Là, deux anciens amis (dont l’un dans un sale état), pouvant à peine voir le visage l’un de l’autre, évoquent avec un pathos tremblant les bons moments passés, annonçant la suite du film comme une rétrospective. Malheureusement, ce flash-forward d’ouverture est à peu près la seule scène où la rétrospective et les regrets qui en restent suscitent un moment de cinéma prégnant.
Le nouveau film d’Andreas Dresen (Septième ciel, Pour lui) conte les espoirs et les galères d’une jeune bande de copains de Leipzig (ex-RDA) à l’aube de la réunification de l’Allemagne, tandis qu’ils trompent leur ennui dans le vandalisme, la drogue et leur projet de monter une boîte de nuit underground. Adaptation d’un roman d’inspiration autobiographique, Le Temps des rêves arpente des terrains familiers et propices aux lieux communs, tant sur le plan de la chronique de bande adolescente que sur celui de l’évocation de cet espace historique. Et la première déception qu’il inspire est bien dans l’absence totale de surprise générée par son récit, jusque dans les correspondances entre parcours des personnages et état du pays. Car c’est évidemment à des considérations largement appliquées à l’ex-Allemagne de l’Est dans les années qui ont suivi la réunification (perte de repères, précarité économique, montée des extrémismes…) que répondent l’errance des jeunes hommes, leurs frasques, leurs illusions, leurs entreprises fragiles, leurs amitiés contrariées, leurs confrontations entre eux et avec les néonazis du coin. Même les flash-backs sur les bancs d’école de l’ère socialiste, où s’annoncent déjà les futurs rebelles, ne font qu’appuyer ces évidences (à quelques instants près, qui suggèrent que déjà les amitiés d’enfance étaient fragiles, relativisant ainsi à bon escient le lien entre leur désagrégation et la chute de la RDA).
Sans éclat
Mais au fond, le problème principal n’est pas que tout cela soit déjà vu, mais que le film soit incapable d’y insuffler quelque fraîcheur, de le faire paraître pour un constat sincèrement concerné et amer (au-delà de cette première scène, donc) au lieu d’idées préétablies formulées en une fable téléphonée, résignée d’avance à sa morale prévisible. Pour tout soutien à la jeunesse bouillonnante, Andreas Dresen esquisse un emballage grossièrement bruyant pour son film, le parsemant d’intertitres portant des slogans ou des titres de chansons à tendance punk, l’accompagnant d’une bande musicale entre ce même punk et la pop des nineties. Mais ni ces touches cosmétiques, ni le rythme trop peu vif de la narration ne sauraient accompagner sérieusement cette bande qui pourtant s’agite beaucoup, ni compenser le manque de personnalité des individus et de leurs actes, ni faire d’eux plus que des figures engagées sur les rails du scénario les menant vers un destin attendu.
Signe particulièrement décevant de cette démission devant l’impératif emblématique : le traitement de « Starlette », le personnage féminin principal, jeune et incendiaire brunette désirée par un des gars. Le film la prétend mystérieuse et fuyante, un peu femme forte, un peu putain, partagée entre ses vagues sentiments pour son prétendant et l’envie de s’offrir à un autre pour assurer sa sécurité — à l’arrivée, une allégorie de plus de l’état de cette moitié d’Allemagne. Mais tout en en faisant une créature insaisissable aux choix contradictoires et faisant tourner la tête à l’un des héros, puis un symbole, Dresen oublie de la traiter comme un individu dont on puisse appréhender les aspérités humaines de façon crédible. Du coup, elle n’est qu’abstraite, un pur objet de désir, et dès qu’elle entre en considération, Le Temps des rêves n’est guère plus que le récit de jeunes garçons s’agitant vainement pour soulager leur frustration. Une lecture qui pourrait susciter un autre film, un bon, si seulement elle était mise en scène au-delà de l’illustration paresseuse et faussement branchée.