Une femme aime son mari, mais s’éprend d’un troisième larron. Tout ça est un peu vieux comme le marivaudage au cinéma, sauf que, justement, tout ce petit monde est sexagénaire ou septuagénaire. Confirmant les belles dispositions actuelles du cinéma outre-Rhin, Andreas Dresen propose un drame sentimental intense et poignant remarquablement interprété.
L’évocation de la sentimentalité et de la sexualité des seniors est de plus en plus visible au cinéma. La sortie de 7e ciel fait suite à celle de Trop jeunes pour mourir de Park Jin-Pyo, cette proximité révèle sans doute une volonté de lever un voile cinématographique sur une réalité longtemps invisible sur les écrans. Dans le volet coréen de mai dernier, l’acte sexuel était un véritable défi lancé à la mort, aussi il était beaucoup plus central et les scènes de sexe non simulées, des étreintes qui faisaient des deux amants des sortes de candidats magnifiques à l’éternité. 7e ciel se situe dans le registre plus classique de la fiction, même si l’on note une même volonté de montrer des corps vieux, fatigués et avachis, mais beaux à la leur manière, et surtout remplis de sensualité et de désirs charnels. « Il ne s’agissait pas tant de chercher le scandale ou de choquer les gens mais plutôt de dire : regardez c’est ainsi, nous vieillissons tous, personne ne peut l’éviter. » Ce sont les mots d’Andreas Dresen lors du dernier festival de Cannes, où le film fut projeté en sélection officielle « Un certain regard » et obtint un prix « Coup de cœur du jury ».
Les deux premières scènes du film installent une opposition très nette qui va littéralement et violemment scinder Inge (Ursula Werner). On découvre cette jeune sexagénaire dans un morne quotidien et un appartement qui ne l’est pas moins. Le visage cerné, elle accomplit avec lassitude des travaux de couture pour arrondir les fins de mois. Elle assure aussi la livraison. Et la voici donc dans la scène suivante, timide et bouleversée, devant son futur amant, un sémillant septuagénaire prénommé Karl (Horst Westphal). Tout est affaire de corps, point de mots. On se touche d’abord avec tact et distance, chacun jauge le corps de l’autre. Puis vient le baiser qui précède un acte sexuel plein de vigueur dans un appartement baigné d’une franche lumière. À la suite duquel Inge s’enfuit, honteuse et très fortement perturbée par cet accès de désir débridé. Et il y a comme un léger problème : elle est mariée depuis trente ans à Werner (Horst Rehberg), et encore plus emmerdant, elle l’aime toujours.
Retour ensuite à la case grisaille, à ce quotidien terne et silencieux d’un vieux couple. Son mari a enterré le dernier collègue de sa génération : ça sent le sapin… Mais l’intelligence du réalisateur est de brouiller cette opposition qu’il installe d’abord. Elle redécouvre le désir d’une manière plus générale, retrouve cette fonction de son corps. Elle s’y adonne avec son mari alors qu’on comprend fort qu’il y avait un bon moment qu’ils n’avaient pas mis le couvert. Lors d’une très belle scène où elle se regarde nue dans la glace, après un plan sur la photo de mariage, muette mais avec ces questions qu’on lui prête : qu’est-ce que j’ai fait de tout ce temps ? De moi, de ma vie, de mon corps. Dans un premier temps, Inge formule la thèse de l’accident et s’accroche à son couple. Ce mensonge à elle-même est bien plus rassurant que de remettre en cause ce petit bonheur, même médiocre, construit avec patience et méthode. Elle résiste donc à l’idée de revoir Karl à qui elle claque la porte au nez lorsqu’il vient réclamer de nouveau les services de la couturière.
Le voyage de deux jours du mari place Inge face à ses désirs, auxquels elle succombe. C’est le début d’une double vie qui la met dans cette situation de dilemme entre un amant aimé et un mari respecté. Avec une mise en scène simple mais vibrante, d’une tonalité naturaliste, mettant en valeur les gestes, les silences, les visages et les corps, 7e ciel parvient à transcrire avec force la mise en danger que constitue le fait d’accepter d’aimer. Notamment cet état et ces situations où il est impossibilité d’agir avec conséquence, de ne pas blesser l’autre, alors qu’il s’agit de se rendre heureux. Ainsi le film évolue en direction d’un drame poignant et sombre, se dotant peu à peu d’une tension que l’on n’attendait pas. Ursula Werner compose un beau portrait d’une femme partagée et courageuse, assumant ses désirs, celui du mari délaissé devient lui peu à peu complètement bouleversant. La composition de Horst Rehberg est absolument remarquable, il fait de Werner un superbe personnage de vieux loup barbu blessé et usé mais digne, dur mais aimant.