Coscénariste pour Xavier Beauvois (Selon Matthieu et Le Petit Lieutenant), Cédric Anger place sa première réalisation de long métrage sous des auspices plutôt agités dans le cinéma français actuel : ceux du film de genre, a fortiori le polar, trop souvent écartelé ces jours-ci entre tentation de l’efficacité hollywoodienne et tenaces conventions narratives et sociologiques ronronnantes (36 quai des Orfèvres, Contre-Enquête).
Osmose entre prédateur et proie
Avec un personnage central aussi tordu qu’on peut imaginer un tueur à gages (surtout quand il a le regard d’un Grégoire Colin abonné aux rôles de jeunes ténébreux peu sympathiques), on s’attend déjà à voir le film de genre infiltré par l’étude de caractère. On n’y coupe pas, d’autant que la cible à abattre, l’homme d’affaires qu’incarne Gilbert Melki, respire encore moins la sérénité que son futur assassin à l’atypique dégaine de zonard. Anger affiche d’emblée son orientation intimiste par une caractérisation presque scolaire, mais solide, du prédateur et de sa proie. Scène après scène, on en découvre les vies plus ou moins séparées, mais au fond pareillement mornes : le tueur traîne son asocialité dans un blouson de cuir trop grand pour lui, s’accommode d’un mode de vie médiocre en haussant les épaules, rigole bêtement devant un film porno, s’essaie piteusement à la drague ; la cible vit dans la frustration, la défiance et la peur, conscient que son monde n’est qu’illusion et que lui-même est en sursis, sans trop savoir s’il doit redouter ou espérer la mort.
Plus que dans le marché inhabituel qui — c’est le pitch — va se contracter entre les deux personnages qu’on sait désormais un peu plus fragiles que leurs archétypes, le film trouve son propos dans ce que celui-ci va induire : un échange discret mais aussi inexorable que l’issue du contrat, chacun des signataires semblant transmettre à l’autre son état d’esprit, sérénité contre agitation, crainte de la mort contre indifférence, certitude contre doute, assurance du pas contre erratisme. Osmose d’autant plus insidieuse qu’elle se conjugue avec l’impossibilité de chacun d’aller vers l’autre, et ce malgré leurs compétences respectives. Aucun espoir pour la cible, communicant efficace, d’entrer dans l’univers de son tueur… mais le chasseur à l’affût n’est pas plus capable de pénétrer tous les refuges de son gibier, d’où la plus saisissante scène du film, vaine exploration de sombres couloirs du XIIIe arrondissement de Paris. De belles idées de relecture d’une relation archétypale, dont on peut sans doute regretter qu’elles soient assez vite circonscriptibles, faisant de la seconde partie du film l’application d’un programme, et surtout ne nourrissent pas plus la mise en scène pour parachever leur incarnation cinématographique.
« Confrontation entre repères de genre et idées d’auteur »
Qu’on ne s’y trompe pas : Le Tueur reflète dans son ensemble les qualités et les défauts du premier film d’un scénariste s’essayant à la mise en scène, pas toujours avec la pertinence souhaitée. La volonté du jeune auteur de s’approprier un canevas bien lisible pour mieux l’incarner se révèle à double tranchant. Sa confiance dans sa capacité à donner de l’épaisseur à ses personnages menace plusieurs fois de plomber le film, tenté à la fois par la psychologie pesante (induite entre autres par le personnage de Mélanie Laurent) et par un besoin de distanciation un peu artificiel, notamment par l’usage de la musique, qui manque d’ailleurs de faire sombrer dans le ridicule l’apparition de Colin dès les premières minutes. La forme se cherche un peu, sobriété un peu molle mais parfois secouée des symptômes du jeune réalisateur qui « essaie des trucs » (tentation de sur-signifier par les effets de montage). Le film ainsi mis en danger trouve son échappatoire en s’accrochant à son programme comme à une planche de salut, et arrive à sa conclusion logique sans éclat, mais sans honte. Tous ces tics de jeunesse, manière désordonnée de chercher une voix de cinéaste, sont finalement moins déshonorants que les boursouflures qui, en France, trahissent trop souvent les complexes coupables d’une confrontation entre repères de genre et idées d’auteur. Reste que Cédric Anger, s’il a sans doute des choses intéressantes à dire, a tout intérêt à mieux orienter sa recherche.