Leones, premier long-métrage de l’Argentine Jazmín López, est autant un film sur l’adolescence qu’un film adolescent. Il en épouse la posture jusqu’à l’excès et fait de l’âge ingrat un état même du jeune cinéma contemporain, entre exaltation et vacuité.
Difficile de résumer l’histoire de Leones sans en révéler les brèches quasi surnaturelles qui ouvrent le film à son déploiement sibyllin. Inutile aussi, tant ses velléités narratives sont rapidement absorbées par un ravissement à la lisère de l’expérimental. López cherche moins le sens que l’exaltation des sens en immergeant cinq jeunes urbains dans une virée en forêt dont les intentions demeurent aussi vagues que les élégantes ondulations de sa caméra. Balade candide dans une pure situation optique et sonore ? Remake branché du Stalker tarkovskien en quête d’une maison perdue au cœur de la végétation ? Trip halluciné qui rapatrie le cinéma vers ses territoires hypnotiques ? Tout comme ses personnages se prêtant dès l’entame au jeu des six mots d’Hemingway, Leones déborde la concision de son pitch par le pouvoir d’évocation de ses (très) longs plans, les portant vers la plénitude et la volupté comme le malaise ou la mort. On comprend vite, dans cet apparent non-sens, qu’il ne s’agira que de se laisser porter par les circonvolutions planantes d’une steadicam enroulée autour des corps flottants de la jeunesse, dont chaque virage creuse encore le mirage sensoriel.
Les ados de López ne sont pas les héritiers du roman d’apprentissage ; ils demeurent saisis dans les rais de la permanence, à l’image des héroïnes de Sofia Coppola ou des teenagers de Gus Van Sant. La cinéaste emprunte à la première le vernis arty de sa photographie et au second l’obsession du dos qui dé-visage l’adolescence sous un spectre fantomatique (et son opérateur, Matías Mesa). Mais l’influence qui marie Virgin Suicides à Elephant ne s’arrête pas là. Leones est traversé par les images contemplatives du cinéma argentin, de la moiteur de Lucrecia Martel à l’évidence organique de Lisandro Alonso, par les vibrations extatiques des jungles de Weerasethakul, et même par le ludisme du Blow Up d’Antonioni le temps d’une partie de volley sans balle. Si elles prennent le risque de vampiriser le film de López, auquel on reprochera alors de manquer un peu de personnalité, ces emprunts s’affirment avec si peu d’ambages qu’ils dépassent la simple citation pour donner à Leones la forme même de son sujet, l’adolescence. Le premier long de la jeune argentine est un film adolescent : impressionné par ses pères comme ses pairs, en quête éperdue de modèle, il impose son immaturité et son vampirisme avec cette fierté aussi agaçante que fascinante par sa capacité à absorber le monde avant même de l’avoir digéré.
Pourtant, Leones prend le temps, qui va jusqu’au bout du plan, pour rendre au monde sa pleine présence et rendre à chaque cut sa violence. Ses lents panoramiques circulaires caressent la matière, végétation frémissante ou acier broyé d’une BMW, pour composer des plans capables de condenser l’angoisse et l’apaisement. Ils s’enfoncent parfois à deux vitesses lorsque l’indolence de leur mouvement se superpose à une accélération qui saccade étrangement les rayons de lumière traversant les feuillages. Leones traque l’hyper-présent, l’être-là de ses lionceaux égarés et de la forêt vibrante d’infrabasses dans un entre-deux entre enfance et raison, vie et mort. Véritable condensé de contemporanéité, ce premier film est affecté d’un symptôme caractéristique du cinéma contemporain dont il sait cependant jouir et s’amuser, soit cette condamnation à la filiation qui transforme chaque réalisateur en ciné-fils marchant dans les pas des autres. Maîtrisé bien qu’un peu trop formaliste, beau même s’il tourne parfois à vide, Leones annonce l’entrée dans la sylve cinématographique d’une cinéaste à suivre.