À la fois grand provocateur et artisan renommé de l’animation indépendante américaine, Bill Plympton a toujours pris des chemins de traverse. Que ce soit dans la manière de raconter ses histoires – mêlant art du mutisme et de l’onomatopée, associations d’idées visuelles, déformation des corps, érotisme loufoque – ou à travers son processus de création, où il réalise chacune de ses planches à la main, le cinéaste originaire de l’Oregon ne verse pas dans le compromis. C’est une nouvelle fois le cas avec Les Amants électriques, financé en partie sur Kickstarter, qui raconte les déboires d’un jeune couple, Jake et Ella, face à l’infidélité présumée de l’autre.
Un grand carnaval
Le trait chez Bill Plympton, s’il est souvent sarcastique et bouffon, possède aussi quelque chose de mal-aimable, de brutal, qui ne cherche jamais la perfection. Ce sont au contraire les petits défauts qui sont mis en exergue, à travers une difformité assumée, un grand carnaval de proportions exagérées, qui donnent un ton débridé au récit. Le cinéma de Bill Plympton est remplit de digressions assez savoureuses, qui mettent par exemple en scène les fantasmes des personnages, et font entrer dans la diégèse tout un barnum d’images saugrenues, portant le montage jusqu’à un acmé potentiellement délirant.
Si le postulat des Amants électriques semble indiquer un resserrement de la forme sur l’intimité d’un couple, il n’en est pourtant rien. Car le récit est fondé sur un système de méprise et d’incompréhension qui pousse les deux tourtereaux en dehors du foyer, et amènera même Ella, via une machine trans-âme, à occuper le corps des maîtresses de Jake. L’illogisme latent de l’univers de Plympton, qui peut parfois rebuter par une narration un brin dilettante, fournit pourtant ici une piste d’exploration intéressante : tout ce qui régit la relation de couple n’est pas lié au pragmatisme et à la cohérence, mais plutôt aux élans furibards des sentiments, aux sautes d’humeur, que le trait vibrionnant du cinéaste vient illustrer avec la même évidence que dans L’Impitoyable Lune de miel (1997).
Possession
Le film se charge ici, notamment via la musique, d’une sorte de romantisme échevelé plutôt surprenant, qui marque le juste écart des tourments ressentis par les personnages. Entre envies de meurtre (ou de suicide) et nostalgie d’une harmonie de couple brisée, Jake et Ella sont les deux revers d’une même pièce. L’explosivité et la passion qui régissent leur relation, symbolisée par une rencontre sur un stand d’auto-tamponneuses, devient ainsi le moteur même du déchaînement graphique, là où il pouvait parfois virer au simple exercice de style (comme, par exemple, dans son précédent long-métrage, Des idiots et des anges). Que le cinéaste trouve ici une certaine forme d’adéquation entre le fond et la forme ne serait qu’un os à ronger pour le critique, si cela ne permettait à Plympton de se servir de cette assise pour faire dériver son récit et accéder à l’une de ses plus belles idées visuelles. Lorsque Ella, désespérée, se sert d’une machine trans-âme pour retrouver l’intimité qu’elle partageait avec son homme, elle prend possession du corps d’une autre femme. Mais ce sont bien ses yeux verts qui apparaissent à un Jake qui croit devenir fou en voyant ce regard familier envahir le corps de ses maîtresses. Poids de la culpabilité, retour du refoulé, nostalgie, regrets : l’image, au sens propre comme au figuré, frappe, une fois n’est pas coutume, par sa simplicité et sa limpidité.