C’est la malédiction du lecteur avide : pourvu qu’il rencontre un auteur enthousiasmant, il n’aura de cesse de partager ces moments lus, ces passages bouleversants, l’émotion qui l’a saisi… En vain. Rares sont ceux qui, par la parole, parviennent à transmettre l’émerveillement vécu face à un bon livre – c’est d’autant plus vrai pour le truculent Mark Twain.
Pour sa seule incursion dans le long métrage, le réalisateur Will Vinton a décidé, ma foi fort pertinemment, de laisser au cinéma claymotion (image par image d’argile) le soin de raconter Mark Twain. Car il s’agit, bien sûr, de mettre en image-par-image certains des passages les plus réputés de l’auteur d’Huckleberry Finn, mais aussi d’en faire un personnage, un vieux bonhomme un rien misanthrope. Seulement confiant dans la sincérité enfantine (et particulièrement celle de Tom Sawyer, Huck et Becky Thatcher), notre monsieur Twain est décidé à aller finir ses jours en embarquant sur la comète de Halley à l’aide de son dirigeable hautement steampunk. Quoi qu’on en dise, voilà un projet de retraite des plus ambitieux.
C’est donc l’occasion pour Will Vinton de se placer du point de vue de Becky, Tom et Huck, consciences enfantines aux prises avec un vieux charmant mais naturellement dissimulateur, qui semble vouloir leur épargner le cynisme et le désespoir venus avec l’âge sans pour autant parvenir à en endiguer les plus profonds reflux. Le Mark Twain qu’il met en scène doit autant aux anecdotes réelles de la vie de l’écrivain, qu’aux regrets universellement prêtés aux adultes qui savent finalement ce qu’ils ont perdu lorsque s’est éloignée l’enfance. Vinton ne cesse de placer dans la bouche de son Mark Twain des citations réelles, censées appuyer ce propos : ces citations sont parfois mise en scène avec une insistance gênante, parfois beaucoup plus légères.
La glace au sein des braises
La structure du film adopte les mêmes tendances, avec un effet catalogue d’exposition de nouvelles de Twain, manquant parfois de spontanéité. Ainsi, on prend peur avec la première nouvelle, l’histoire un rien lourde d’un Américain parieur fou ayant gagé de dresser une grenouille. L’histoire d’enrobage, quant à elle – Twain, les enfants et un mystérieux passager clandestin en route pour la comète de Halley –, présente beaucoup plus d’intérêt.
Lorsque le film aborde, longuement, l’adaptation en images du fabuleux Journal d’Adam et Ève, le ton s’allège considérablement, et Les Aventures de Mark Twain prend une teneur follement souriante… jusqu’à ce que survienne ce qui constitue la pièce maîtresse du film, le segment consacré au « Mystérieux Étranger ». Conte mythologique dépourvu de la truculence habituelle des extraits choisis pour le film, ce segment pose question : il est absolument recommandable de ne pas rendre lénifiants et benêts les films dits « pour enfants » – et c’est bien ici un film pour enfants dont il est question. Il est donc tout à fait pertinent d’aborder des sujets effrayants, inquiétants – voir comment Coraline d’Henry Selick, ou ParaNorman et Les Boxtrolls traitent intelligemment de ces sujets.
Mais le nihilisme froid du Mystérieux Étranger étonne malgré tout. C’est que Will Vinton, comme son Mark Twain, peine à refréner son amertume, qui lui fait placer ce court-métrage tout à fait formidable mais glaçant au sein d’un récit plus léger, mélancolique mais coloré. Et c’est là la grande réussite de ce portrait de Mark Twain au cinéma : plus qu’une adaptation des passages plus cinégéniques de l’auteur sur grand écran, il parvient à saisir l’âme de son sujet, son ambivalence, ses joies exubérantes et ses inquiétudes froides. Loin du biopic illustré, Les Aventures de Mark Twain parvient à donner une voix crédible à l’auteur à l’écran – avant de le laisser repartir sur sa comète. En laissant derrière lui un souvenir durable.