Il n’aura pas fallu plus de deux films au studio Laika pour asseoir un style immédiatement reconnaissable, au croisement de l’univers des premiers Tim Burton et de la technique Aardman. Aussi, était-on en droit de frémir lorsque la bande-annonce des Boxtrolls, qui semblait, au lieu de poursuivre dans la veine des contes sombres Coraline et L’Étrange Pouvoir de Norman, vouloir tirer Laika vers les préoccupations plus immédiatement enfantines du tout-venant du cinéma d’animation. Fort heureusement, le film dément cette impression : Les Boxtrolls sont plutôt la confirmation de l’intelligence d’écriture du studio Laika, des amoureux sincères et tendres de la série B fantastique.
Nous voici donc dans la riante contrée de Cheesebridge – Pont-au-Fromage, disons –, haut lieu de la civilisation la plus raffinée, puisqu’on n’y jure que par la dégustation du fromage. La suprême distinction y est le chapeau blanc, accessoire qui donne accès à la table des ripailles fromagères des grands de ce monde, et que convoite ardemment le très roturier Archibald Snatcher. Pour conquérir le prestigieux couvre-chef, il jure d’exterminer les Boxtrolls, petits monstres inoffensifs vivant sous les rues. C’est compter sans Eggs, enfant humain élevé par les Boxtrolls et bien décidé à protéger sa famille d’adoption.
Slapstick, Stilton et Société
L’idée d’associer l’univers victorien et le fromage n’est pas, de prime abord, évidente. Pourtant, les réalisateurs Graham Annable et Anthony Stacchi parviennent sans peine à orner d’une tranche de bleu bien fait l’élégance un rien ampoulée de ces ladies & gentlemen, à répandre un doux parfum de Stilton sur les créations de métal décadentes de cette histoire furieusement steampunk. Le mélange des genres, la rencontre heurtée de thèmes se fondent dans une aventure échevelée, fille de Jules Verne, de Buster Keaton et des idées matricielles du genre fantastique – en premier lieu, la question de l’innocence du monstre.
Après Norman et Coraline, l’amour inconditionnel du studio Laika pour le fantastique et sa connaissance du genre ne sont plus à prouver. Les Boxtrolls est l’occasion pour eux de caviarder leur film d’une myriade de clins d’œil, de Doctor Who à Elephant Man. C’est aussi l’occasion de pousser plus loin encore des questions sociétales déjà présentes dans Norman : on y parle, en filigrane, d’oppressions des minorités, devoir de désobéissance à l’infamie, de coming-out et d’homoparentalité. Ça peut être l’affaire d’un instant, d’une courte séquence, comme d’un développement bien plus long. C’est toujours intégré dans une narration au dynamisme formidable, à l’humour omniprésent, qui excelle à construire des personnages, particulièrement un Archibald Snatcher qui s’avère être une figure monstrueuse, grotesque, et pathétique, centre d’une scène de confrontation finale d’une émouvante profondeur. Jamais vraiment sérieux vis-à-vis de lui-même, Les Boxtrolls se clôt sur une série de séquences ouvertes troublantes et tendres, d’une candeur plaisante – l’œuvre d’amoureux du cinéma qui savent porter un regard d’enfants, et l’exprimer avec des mots d’adultes.