L’adaptation cinématographique d’un livre est toujours un exercice délicat. Dans le film, le lecteur de Roald Dahl retrouvera avec plaisir le monde sucré de Willy Wonka (le chocolatier) ainsi que la burlesque et émouvante petite famille de Charlie Bucket.
Charlie et quatre autres enfants ont gagné le droit de visiter la célèbre chocolaterie de l’excentrique et mystérieux Willy Wonka. Les différentes salles de la « factory » seront autant d’épreuves destinées aux chérubins avant d’acquérir le prix d’or imaginé par le grand chocolatier. À côté du gros mangeur, de la chipie gâtée, de la mesquine mâcheuse de chewing-gum et de l’arrogant téléphage, Charlie incarne les valeurs de l’innocence, de l’imaginaire et de l’amour familial.
Le rythme enlevé et entraînant est inévitablement lié au travail du fidèle ami, le compositeur Danny Elfman, lequel compte à présent onze collaborations avec T. Burton. La scène mémorable, parce qu’elle frappe l’imaginaire – et les oreilles ! – de tous, tient dans ce clin d’œil délibéré à 2001 : l’odyssée de l’espace de Kubrick. Le monolithe devient ainsi la barre de chocolat signée Willy Wonka ! Tout au long du film, le cinéaste multiplie les clins d’œil cinématographiques qui réjouissent le spectateur capable de décoder les genres pointés. Ainsi, quand les « nymphettes » de Tim Burton se jettent à l’eau, notre mémoire cinématographique plonge avec elles. Par ailleurs, les petits êtres Oompa-Lompas, joués par un seul comédien dupliqué à l’image par la technologie de la « motion capture » (prises de vues pilotées par ordinateur), permettent à Tim Burton de donner au conte l’aspect grand spectacle d’une comédie musicale. Ceux-ci improvisent paroles et chorégraphies après chaque mésaventure des enfants. Le film nous guide ainsi vers la morale-reine du conte enfantin : de la bêtise naissent l’égoïsme, la méchanceté, la pédanterie et la cruauté ; du mal amour naît la froideur de la mort ; et de l’amour filial, courage et avenir.
Rivières de chocolat, pelouse à manger, arbres à bonbons, tout l’univers fantastique de l’usine de chocolat imaginée par Roald Dahl est admirablement rendu grâce à l’équipe technique du film qui a travaillé à partir des dessins de Tim Burton. Mais quel aurait été ce film sans le numérique ? L’on pourrait retourner le reproche de Tim Burton adressé à une enfance gavée de progrès électroniques, à l’utilisation intensive du numérique, tout en saluant malgré tout le générique qui doit à cette technique moderne une formidable mise en bouche pour le spectateur. L’abus du numérique n’aurait-il pas lissé et élagué les fioritures gothiques de son univers ? Mais l’originalité de ce cinéaste est sans conteste le contraste qu’il sait rendre entre les couleurs pop de la « factory » et les couleurs froides élisabéthaines et industrielles de cette ville, de la tendre bicoque de Charlie.
Fidèle à lui-même, Tim Burton en profite pour moraliser la fable plus que ne le fait Roald Dahl car l’écrivain présente les situations en laissant le lecteur libre d’y rêver et d’en tirer son analyse. La bonne entente familiale était déjà présente dans le livre et illustrée par l’amour qui lie Charlie à ses parents et grands-parents, mais Tim Burton a créé de toutes pièces le lien qui unit le père – génial Christopher Lee – au chocolatier dont le visage blanc et l’insouciance du sourire grave et faux trahit le manque d’amour, ou plutôt l’incompréhension entre père et fils. Le réalisateur s’approprie donc la fable afin de questionner à nouveau le rapport entre l’esprit créatif et l’esprit familial : peut-on rester créatif en famille ? Doit-on faire un choix entre la création et sa famille ? La création implique-t-elle nécessairement la solitude ?
Le personnage de Willy Wonka (joué par Johnny Depp) prend une autre ampleur dans les mains du réalisateur. Si dans le livre, il reste un personnage énigmatique et insaisissable, dans le film, Willy Wonka s’épaissit. Pas tout à fait sorti de l’enfance, pas encore entré dans le monde adulte – mais y entrera-t-il jamais ? –, Willy Wonka fait figure d’enfant torturé et triste.
Déjà, dans Edward aux mains d’argent, Johnny Depp incarnait cette créature solitaire mais créative qui tentait de se trouver une famille parmi les habitants de la ville. Le jeu de l’acteur est presque identique à celui qu’il inventait pour Edward aux mains d’argent. Le faciès livide et figé, l’allure loufoque à la gestuelle saccadée, Johnny Depp semble avoir trouvé sa manière de véhiculer corporellement l’atmosphère fantastique « à la Tim Burton ». Remarquons donc qu’encore une fois, la solitude, l’hiver, le froid et la neige sont le cadre propice à l’éveil de l’imaginaire et du fantastique.
Pour ne pas dévoiler la fin de ce conte merveilleux, disons donc simplement qu’à la fin, il neige sur la chaumière…