Trois ans après l’efficace Infectés, Àlex et David Pastor poursuivent leur travail dans l’univers post-apocalyptique. Le cadre et la tonalité sont cependant bien différents : on passe de la campagne états-unienne à Barcelone, et la catastrophe est déclinée ici sur l’air d’« un autre monde est possible ». On ne saurait donc reprocher aux réalisateurs d’avoir cherché à répéter ce qu’ils avaient plutôt bien fait. On voudrait soutenir ce film ambitieux, au budget relativement modeste, et qui choisit le retour en Espagne. Le résultat est malheureusement décevant.
Pour des raisons inexpliquées – des causes éventuelles sont évoquées en passant, mais immédiatement oubliées – l’humanité se trouve progressivement affectée d’une sorte d’agoraphobie radicale. Les hommes ne peuvent plus sortir de chez eux. La somatisation est rude : en extérieur, l’angoisse devient une allergie mortelle. L’action a lieu à Barcelone, mais les journaux télévisés, médias obligés de l’internationalisation de l’apocalypse, le confirment : le mal se diffuse, comme une pandémie, à la Terre entière. Si ses effets sont énormes, la cause de la fin du monde, ou plutôt de « notre » monde, est intérieure, mystérieuse, peu spectaculaire, presque discrète. On est loin des attaques extra-terrestres, des guerres nucléaires, des catastrophes naturelles ou écologiques, des épidémies de rage et autres zombifications.
Les Derniers Jours n’est pas seul à proposer ce genre d’interprétation de la fin du monde. Il s’inscrit dans une série de films tels Blindness, Les Fils de l’Homme ou Perfect Sense qui se saisissent du motif de l’épidémie en le dissociant de la catastrophe sanitaire ou de la maladie traditionnelle. La pathologie prend une dimension quasi métaphysique (infécondité généralisée, perte de la vue, perte progressive de tous les sens) ; l’effondrement n’a pas de cause extérieure et matérielle, il est l’effet de la séparation de l’homme d’avec le monde. Sur cette ligne, Les Derniers Jours constituent une sorte d’acmé : il n’est même plus besoin de faire l’hypothèse d’un dérèglement du corps et de la perception, le dégoût du monde suffit. Il faut tout de même préciser que l’idée revient à Luis Buñuel qui, dans L’Ange exterminateur, condamnait à l’enfermement un petit groupe d’individus, par leur rigoureuse et inexplicable incapacité à quitter le lieu où ils s’étaient volontairement rassemblés.
L’idée est stimulante, et riches les possibilités cinématographiques. Toute l’activité humaine se déplaçant, le bouleversement est déjà d’ordre spatial. Les frères Pastor ne tirent malheureusement pas grand-chose des enjeux perceptifs impliqués par leur scénario. Il y a bien quelques extérieurs frappants, des vues excitantes de Barcelone, un ou deux débuts de vertige — mais il n’y a pas de véritable construction et configuration de l’espace. Les personnages cherchent à atteindre des points précis et traversent pour cela la ville par ses divers souterrains. Tout est question de circulation, de distribution des lieux, d’orientation, de passages et de seuils – et nous nous mouvons dans un espace fade et sans qualité. Le poids exorbitant que prend dans le scénario une histoire de GPS est tout à fait significatif : au lieu de nous faire percevoir la difficulté et la nécessité de s’orienter, les frères Pastor se contentent de signifier cette difficulté en mettant cet outil dans les mains de leurs personnages. Mais c’est comme dans la « vraie vie » : le trajet accompli à l’aide d’un écran plutôt qu’en s’orientant ne laisse aucun souvenir.
Au fond les réalisateurs ne cherchent à « faire monde » que sur le papier. Ils s’inquiètent en revanche beaucoup des rebondissements réguliers censés mobiliser l’attention du spectateur. Si quelques séquences tiennent la route (la rencontre avec l’ours, l’arrivée au supermarché en état de siège), les prétextes à l’intensification de l’action sont souvent improbables et gratuits (la palme revenant à la piteuse séquence de la bouteille de gaz). Mais c’est surtout techniquement que le bât blesse : la mise en scène et le découpage, surtout lors des « scènes d’action », sont la plupart du temps franchement maladroits. Cette faiblesse étonne car si Infectés n’avait rien de brillant, il était à la hauteur de son ambition et maîtrisé de bout en bout.
Infectés était aussi plus « détendu », certes pas léger – il était au contraire plus sombre que Les Derniers Jours qui s’achève sur la naissance d’un monde meilleur – mais se prenant moins au sérieux. Les Derniers Jours a quelque chose de lourd et crispé. On y rit très fort, pour montrer que la vie est malgré tout intense. On y est constamment emporté par la passion : cela tient lieu de grandeur morale. Tout est toujours souligné, les plans sont des panneaux indiquant ce qu’il faut comprendre et penser. Cela va encore lorsque l’on assume les codes d’un genre, avec la distance et le jeu qui siéent. Mais Les Derniers Jours se veut justement plus qu’un « film de genre » : il prend une posture pédagogique et morale et propose une espèce de critique radicale de la civilisation. Dans sa démesure – l’humanité redeviendra elle-même dans les ruines de la grande ville, lorsque la nature aura repris le dessus – la critique ne critique évidemment rien. Et au fond, sous ses atours moralisants, le propos est plutôt nihiliste et manifeste une haine bien plus qu’un amour de l’humanité.
Il ne faut pas non plus se payer de mots. Les frères Pastor ne sont ni humanistes ni nihilistes, ils sont juste inconséquents et de mauvaise foi. Ce n’est pas une question de contenu, mais de forme, de posture, d’attitude – le film gore et outrancier peut avoir un ton juste, et même une rigueur dans son amoralité. Ici on joue en (se) faisant croire qu’on ne joue pas, on baigne, en somme, dans l’irresponsabilité.