2027: la planète a cédé au chaos. Seule la Grande-Bretagne a pu résister à l’autodestruction en se repliant derrière un régime totalitaire, qui gère par la violence les flux massifs de réfugiés de tous les pays, parqués dans des zones de non-droit. Et la survie de l’humanité est gravement menacée par l’incapacité inexpliquée des femmes à donner la vie: la dernière naissance remonte à 18 ans et lorsque l’homme le plus jeune de la planète est assassiné, la population tombe un peu plus encore dans la morosité. Théo, ancien militant devenu bureaucrate résigné, va malgré lui jouer un rôle inattendu dans la survie de l’espèce humaine quand son ex-femme, anarchiste convaincue, le met en contact avec Kee, enceinte de huit mois et dernier espoir pour la sauvegarde du genre humain…
En adaptant un roman de P.D. James, Alfonso Cuarón abandonne la dissection des tourments adolescents (thème dont il fait s’est fait la spécialité, du road-movie mexicain Y Tu Mama También en 2001 au troisième épisode des aventures de Harry Potter en 2004, le plus sombre et le plus réussi) pour le cinéma d’anticipation, dont on serait bien en peine de trouver les fleurons depuis le beau film de Terry Gilliam, L’Armée des 12 Singes, en 1995. D’autant plus que le propos de ces Fils de l’Homme est ambitieux: État totalitaire, catastrophe démographique, gestion inhumaine des sans papiers et des réfugiés… Comme tout bon film du genre, les questions soulevées ici trouvent un écho quotidien dans les journaux du monde entier.
C’est caméra à l’épaule, dans une Londres reconstituée et tout à fait identifiable, où le futur se montre de façon subtile (quelques gadgets high-tech par ci, deux ou trois bâtiments démesurés par là), que Cuarón nous invite à entrer dans son monde apocalyptique, sur les pas d’un anti-héros fatigué qui se contente de survivre sans se poser trop de questions. Un plan séquence magistral (il y en aura beaucoup d’autres dans cette mise en scène proche du reportage) nous précipite dans le vif du sujet: ville en ruines où le quotidien mélange en quelques minutes café du matin, informations moroses et attentat à la bombe. Du vrai Beyrouth de 2006 au faux Londres de 2027, Cuarón opère un glissement fictionnel qui repose, tant sur le fond que sur la forme, sur un réalisme terrifiant, dont on ne peut que constater la probabilité avec effroi.
La première moitié du film joue sur la découverte de ce monde régi par la police et l’armée et dynamité par des réseaux souterrains constitués de militants aux nobles causes et autres anarchistes plus ou moins bien intentionnés. Au gré des pérégrinations de Theo (Clive Owen, délicieusement à l’ouest), mandaté par la militante Julian (Julianne Moore) pour aider Kee (Claire-Hope Ashitey) à donner naissance à son enfant à l’abri des dangers, Cuarón prend bien soin de ne jamais chercher à rendre ses personnages sympathiques. Les motivations de chacun, qu’elles soient à caractère altruiste ou purement égoïstes, cachent toujours une zone d’ombre que ni le cinéaste, ni les comédiens ne cherchent à mettre à jour mais qui contribuent au réalisme désespéré de l’ensemble.
Les Fils de l’Homme prend par la suite une tournure plus classique (la course poursuite), moins novatrice mais dont l’issue – un camp de réfugiés – offre au film un climax résolument spectaculaire. La grande force de Cuarón est de ne jamais sacrifier son discours au profit de sa mise en scène – au contraire, la forme et le fond sont, comme rarement dans un film a priori « populaire », parfaitement cohérents. À tel point que l’on peut être impressionné par la maîtrise technique de scènes à grand spectacle (fusillades, explosions…) qui, toujours filmées en plans séquences, dénuées de tout artifice tape-à-l’œil, évitent les écueils habituels, dans un film où le pessimisme n’est jamais complaisant, sauvé par la foi du cinéaste en ses personnages et en son sujet. Les Fils de l’Homme séduit par sa mélancolie, son aptitude à porter sur l’avenir un regard bouleversant parce que presque résigné. Presque, au vu d’un final ouvert, porteur d’espoir, confiant malgré tout. Alfonso Cuarón confirme ses talents de conteur, qui puise son inspiration dans le refus de fermer les yeux face aux horreurs du monde : c’est dans la lutte que se nichent les plus belles histoires. De quoi être curieux de voir son prochain projet, l’histoire des révoltes étudiantes en 1968… au Mexique.