Visage désormais familier des écrans français, le Belge Bouli Lanners nous avait particulièrement intrigué avec son road movie wallon, Eldorado. Sous perfusion surréaliste, Eldorado baignait dans une atmosphère noire et solaire, révélant une belle transposition des motifs américains. Présenté en clôture de la Semaine de la Critique, son nouveau film dessine aujourd’hui le parcours de trois adolescents livrés à eux-mêmes durant un été jovial et périlleux. Or, s’il est par moments touchant, Les Géants est privé de cette inspiration qui pourrait lui offrir un éclat taillé sur la durée.
Comme chaque année, Zak et Seth s’apprêtent à passer des vacances sans leurs parents. Isolés dans leur maison de campagne, ces deux frangins consacrent leur temps à fumer des joints, manger des pizzas, dormir dans une cabane ou rouler en voiture le son à fond. Leur voisin Dany les rejoint dans cette parenthèse suspendue à un argent de poche évanescent. Suivant ces données, Les Géants dispose d’arguments plutôt charmants. Les trois ados qui s’y déplacent demeurent bien éloignés des têtes peignés et ringardes que le cinéma français déverse sur nos écrans. Ainsi, pour le meilleur, Zack, Seth et Dany ne sont ni des ersatz ressuscités des années De Gaulle ni des clones, disons lol, de Justin Bieber. Leur langage fleuri (une rigolote scène de gros mots), leur centre d’intérêt (s’amuser dans l’adversité) nous les offrent comme des modèles de nature malicieusement détournés des apparats contemporains. C’est donc un regard plein de tendresse que Bouli Lanners pose sur ces bambins loin d’être des chérubins. Et c’est en imaginant des trajectoires encadrées par une belle nature (champ, marécage, forêt) que son film tutoie le conte par l’angle nostalgique d’une vie dans les bois.
On connaissait le risque pour un réalisateur de faire reposer un film entier sur des personnages d’enfants. Or si ces derniers semblent prendre un vrai plaisir à jouer les quatre cent coups, étrangement, c’est le monde dressé alentour qui fait défaut. On a beau reconnaître l’idée d’un point de vue vierge (mais jamais mièvre) posé sur le monde, Les Géants marque le pas pour retranscrire le danger que représente celui des adultes. Les caméos qui font le sel de certaines comédies belges ou grolandaises ne frappent plus par leur frontale étrangeté. Alors qu’elles sont censées susciter le danger (ou la cupidité), ces apparitions deviennent bouffonnes et inopérantes quand bien même la réalisation (cadrage fixe) semble penser le contraire. Aussi, l’enfouissement, l’espace sauvage attendu, est constamment modéré par des retours à la « civilisation ». Sans doute pour des questions de production (des enfants dans le wilderness…), Lanners n’ose jamais déborder la frontière et fige son film quand il revisite ses scènes intérieurs. Et c’est en raison du minimalisme de son filmage, du manque de perspective de sa fable, que Les Géants demeure ainsi entravé.
Finalement, Les Géants aurait pu être un beau petit film si son trajet ne s’autorégulait pas autant. Bien qu’il révèle une nouvelle fois le profond attachement de Bouli Lanners à la géographie wallonne et un esprit assez rock’n’roll, il pâtit de sa répétition un peu limite. La nostalgie que l’on éprouve envers cette vacance ne nous empêchera donc pas d’y déceler ces défauts qu’un plus jeune public – auquel Les Géants semble destiné – ne prêtera, lui, pas attention.