Les Trois Frères, le retour, Les Seigneurs, Robin des Bois, la véritable histoire, Les Profs, Les Profs 2… Exemples parmi les plus récents, forcément réducteurs, d’une culture du néant vertigineux qui se poursuit gaiement dans la comédie française grand public. Les Profs 2, reproduisant la formule qui a paraît-il rendu rentable son prédécesseur Les Profs, fait très fort : pas une scène — non, pas une seconde qui ne consterne, pas une réplique qui ne renvoie aux pires blagues Carambar jamais écrites, pas un gag visuel qui ne déshonore tout ce qui a été fait en matière de burlesque. Soit une comédie nationale de plus où absolument rien ne fonctionne, sauf le matraquage publicitaire pour entretenir l’illusion du contraire. Plus malin que les autres spécimens susmentionnés, Les Profs et sa suite affichent un peu moins leur mépris hautain pour leurs personnages et leurs spectateurs, et un peu plus leur volonté de caresser ces derniers dans le sens du poil. Il leur suffit de frayer avec ce genre familier, bien populaire chez nous, qu’est la comédie dans le milieu de l’enseignement (rappelons ces fleurons inénarrables que sont P.R.O.F.S., Le Plus Beau Métier du monde, L’Élève Ducobu ou encore Le Petit Nicolas…), où parodie de l’autorité des professeurs et facéties des cancres ne font que conforter tout le monde dans les idées reçues et l’imagerie rassurante. Finalité que conforte aujourd’hui la science de l’inanité apportée par l’influence de notre télévision (on peut s’en convaincre en endurant la série Pep’s, actuellement sur TF1 : c’est strictement le même registre). On ne se lassera décidément jamais de citer le contre-exemple Zéro de conduite, dont on est ici aux antipodes de la rébellion authentique.
Des vieux parlent aux jeunes
La franchise Les Profs (puisque c’en est maintenant une, sachant qu’à l’origine il s’agit de l’adaptation d’une série de BD) fait cependant un pas de plus pour démontrer l’hypocrisie de sa parodie bon enfant et le fond rétrograde de son inspiration. Se focalisant autour d’un groupe d’enseignants caractérisés comme les plus incompétents de France (incompétence censée bien sûr attirer une complaisante sympathie), elle ne laisse aux élèves qu’une place secondaire, si cancres et facétieux qu’ils soient. Dans Les Profs 2 en particulier, on a confié à un seul le soin de prétendre incarner une présence d’élèves tenant tête aux profs : le dénommé Boulard, déjà star du premier film, prince des glandeurs, des tricheurs et des redoublants, ce qui est très pratique pour justifier l’âge avancé (23 ans) de son interprète, l’humoriste Kev Adams. Le choix était évident, l’acteur étant le plus bankable du lot, assuré d’attirer dans les salles un jeune public aux cris suraigus, mais ce n’est pas la seule raison.
Le personnage, par ailleurs conforme à l’archétype que perpétue l’humoriste entre ses spectacles et la série Soda, laisse éclater à merveille sa fonction publicitaire, sur l’adolescence en l’occurrence (Adams n’apparaît-il pas dans le même registre dans une pub récente pour une banque ?), avec des signes comme la casquette de travers et le blouson qui renvoient moins à la jeunesse d’aujourd’hui qu’à une imitation de Retour vers le futur. Mais surtout, tout star qu’il est, Adams ne matérialise qu’une présence individuelle face à un collectif omniprésent, celui des profs (les autres élèves ne servent guère que de bouche-trous). De sorte que si le film semble lui servir de véhicule, sa visibilité agressive le caractérise comme produit à vendre, mais aussi comme argument pour refourguer tout le reste, à vrai dire beaucoup moins vendable en l’état. Le faux jeune, à l’arrivée, sert d’éclaireur bruyant aux vrais vieux, aux Bourdon, Nanty, Martin-Laval, Ducret etc., lesquels viennent occuper l’espace avec une absence d’investissement frappante dans leurs jeux d’acteurs, tandis qu’ils activent mollement des ressorts comiques d’un autre âge et renvoient de ce qui est censé nous faire rire une image franchement sinistre. De quoi rappeler que la publicité ne sert pas seulement à vendre des produits, mais à en masquer d’autres, moins contrôlés et moins recommandables.
French spoken
Ah, on allait oublier : dans cet épisode, les profs et le sieur Boulard sont envoyés dans un collège anglais pour sauver l’année scolaire d’une élève qui s’avère membre de la famille royale (ça, c’est pour le semblant de scénario). Bien évidemment, c’est le moment de dépoussiérer les piques les plus fines et subtiles sur le bon vieil antagonisme franco-britannique, le tout mêlé à des blagues sur Harry Potter pour faire passer la pilule. S’en offusquer ? Il n’y en a pas tant lieu que cela, à voir comme le film fait tout pour que « l’ennemi » n’ait en vérité aucune substance. Un grossier tour de scénario oblige tout le monde à parler français, ne laissant aux personnages britanniques qu’une parodie d’accent et une langue bafouée dans la bouche de la prof d’anglais Isabelle Nanty ; et les facéties de l’acteur-réalisateur Martin-Laval, dans le rôle du prof d’histoire anglophobe jusqu’au ridicule et fan de Napoléon, achèvent de discréditer la simple existence d’un rival étranger. En somme, deux cents ans après Waterloo, la leçon a été comprise : ici, on préfère rester dans un entre-soi franchouillard renfermé, coupé de toute réalité (sur le monde, sur les attentes du public, sur le sens même du mot « humour ») et sévèrement débilitant.