Célèbre pour son thème musical, ses nombreuses têtes d’affiche, ses scènes d’anthologies, Les Sept Mercenaires demeure dans nos mémoires parmi les westerns les plus mythiques. Ce n’est pourtant pas un des grands maîtres du genre qui le signe, et le film apparaît plutôt tardivement dans l’histoire des studios hollywoodiens. Le revoir plus de quarante ans après sa sortie permettra peut-être de mieux définir sa place et son influence…
Ce qui caractérise avant tout Les Sept Mercenaires, c’est que rien ne lui appartient vraiment. Tout y est emprunté. À commencer par le scénario puisqu’il s’agit du remake du plus connu des films d’Akira Kurosawa : Les Sept Samouraïs (1954). Bien que l’ère d’Edo soit troquée contre le Far West, l’intrigue reste inchangée, contrairement au sujet. Kurosawa s’intéressait plutôt à l’aspect tragique du samouraï, à son devoir vis-à-vis de la paysannerie, à son code d’honneur qui confère à cette caste chevaleresque toute sa grandeur mais aussi sa solitude, à comment elle est vouée à disparaître. Remplacer un samouraï par un mercenaire (ce qui hérissa l’épiderme du maître japonais) suffit à modifier intégralement le sens du récit. Sturges en profite plutôt pour réinvestir tous les typages du héros classique du western. Il y a donc le sage vétéran (Yul Brynner), l’intrépide justicier (Steve McQueen), le mercenaire sentimental (Charles Bronson), le jeune chien fou (Horst Buchholz), le solitaire taciturne (James Coburn), le repenti (Robert Vaughn) et l’arriviste (Brad Dexter). Tous vus précédemment en solo mais encore jamais réunis à l’écran, ici par une histoire qui en fait les défenseurs de miséreux villageois opprimés. Le reste des personnages appartient aussi à la mythologie du western : le bandit mexicain (Eli Wallach), le chef de village veule, la farouche paysanne etc…
John Sturges, en solide réalisateur/producteur, capable de gérer un grand spectacle qui alterne action et numéro de stars, sait maintenir sous respiration artificielle toutes ces figures, mais ne leur apporte pas beaucoup d’air frais. Si bien qu’au-delà du divertissement honnête, Les Sept Mercenaires reste un film bien impersonnel, efficace et agréable mais dénué de thématique profonde. Son intérêt en tant que « classique » du cinéma se situe plutôt dans ce qui lui vaut ce titre honorifique, soit une place bien particulière dans l’histoire du western, celle du dernier souffle de vitalité qui précède le décès, un excessif regain de santé, trop beau pour être vrai. On sait qu’un genre cinématographique arrive à son terme quand son incapacité à se renouveler l’oblige à réutiliser tout ce qui l’a traversé, à la manière d’un dernier flash-back retraçant sa vie, où tous les fantômes qui la hantèrent se réunissent pour une ultime farandole. L’imminente fin du western n’était peut-être pas annoncée par le film de Sturges, mais il en portait les signes avant-coureurs.
Car le western qui symbolisa à lui tout seul le cinéma de genre est mort de sa belle mort en 1962 au moment où John Ford signa L’Homme qui tua Liberty Valance. Imprimer la légende en était la conclusion. C’est donc en toute logique que, cette légende une fois imprimée sur pellicule, au début des années 1960, alors que la suprématie de l’Amérique était définitivement établie, le western n’eut plus de raison d’être, il pouvait s’éteindre avec l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Il ne restait plus qu’à le relire, le revisiter, ce qui conduit forcément à une forme parodique. Mais pour qu’elle soit opérante, pour qu’elle puisse aboutir en fin de compte à une analyse, il faut nécessairement qu’elle vienne de l’extérieur. C’est pourquoi le cinéma italien, alors le décalque distancié et outrancier d’Hollywood, sut mieux que ce dernier récupérer le western, le regarder sous un autre angle et le prolonger.
Les Sept Mercenaires fait donc figure de charnière entre deux cinémas dans l’évolution du genre. Il égraine tous les motifs qui feront du western transalpin ce qu’il fut, faisant le tri dans ce qu’il pourrait encore traiter et ce qui passera à la trappe. La galerie de personnage foisonnante lorgne timidement vers l’étalage de trognes des seconds couteaux suintants et crasseux des films de Sollima et Leone. Le scénario est souvent pur prétexte à l’exhibition comme le montre les démonstrations de talent successives au début du film. La musique omniprésente et percutante (fameuse partition d’Elmer Bernstein) donne immédiatement une couleur et un ton identifiable. Le remake permet de jouer sur la variation. Le problème indien est vite évacué : le seul Indien du film finira dans un cercueil, et sera selon l’enjeu d’une scène de présentation dignement enterré, le reléguant au registre des affaires classées, écho bien-pensant aux idées progressistes qu’adoptèrent enfin les États-Unis. Même le casting regroupe certaines des vedettes qui orneront plus tard le western spaghetti (Yul Brynner, Eli Wallach, James Coburn, Charles Bronson…). Bref, le film de Sturges tend à Cinecittà les ingrédients qu’elle va pouvoir cuisiner à sa guise. Et dès qu’il s’agit de cuisine, les Italiens sont toujours les plus forts…