Après le tumulte des années Act Up, Robin Campillo rembobine encore un peu davantage le fil de sa jeunesse (le film est en partie inspiré de son enfance) en retraçant les derniers mois, en 1971, d’une base militaire française située à Madagascar. Si « l’île rouge » est alors indépendante depuis 1960, elle demeure soumise aux intérêts hexagonaux, ce que le film raconte d’abord par touches, puis sans détours, par l’entremise d’un dernier acte plus volontariste dans son propos. La mise en scène de Campillo se veut pourtant impressionniste : en épousant le point de vue de Thomas, jeune garçon de huit ans chétif et peu viril (il préfère la compagnie des filles et a Fantômette pour idole), elle contemple l’effritement de ce dernier bastion du colonialisme à travers un œil enfantin, curieux et témoignant d’une intelligence intuitive mais qui, nécessairement, ne comprend pas tous les enjeux sous-jacents de ce qu’il grappille. Ce cadre déliquescent devient la matrice d’un imaginaire, entre surgissements de visions fantasmées (les histoires de Fantômette s’incrustant dans les mailles du récit) et associations d’images semi-mentales. Malheureusement, Campillo les surligne à peu près toutes : lorsque le pater familias (Quim Gutierrez) rapporte à la maison une grande table en aragonite, son épouse, Colette (Nadia Tereszkievwicz), explique à son fils que la pierre dessine des motifs semblables à des paysages. Et le montage d’illustrer l’idée quelques plans plus loin, en télescopant des vues de l’île prises depuis un hélicoptère avec les sillons tracés dans le minerai.
C’est toutefois dans sa dernière demi-heure que le film sacrifie pour de bon le peu de trouble et de mélancolie qu’il parvenait à susciter. La veille du départ de la base militaire, Thomas déambule la nuit dans son costume de super-héros inspiré de Fantômette, avant de suivre un couple déjà entraperçu qui, (très) métaphoriquement, incarne les rapports amoureux et toxiques liant la France à Madagascar. Campillo se concentre alors plus nettement sur une femme malgache qui, de manière affirmée, enjoint au garçon de rentrer chez lui : exit l’imaginaire, retour au réel. Le contrepoint s’imposait sans doute, mais il consiste en l’occurrence à faire place nette à un discours – ceux de prisonniers politiques libérés par le gouvernement, puis une chanson témoignant du souffle de liberté nouveau qui galvanise le peuple malgache, resté jusque-là dans l’ombre. Si Campillo ne parvient pas à donner à cet ultime mouvement la force politique qu’il visait, c’est précisément parce qu’on ne voit rien d’autre que le « geste » – ce mot trop souvent galvaudé pour ramener un film à la seule velléité qui lui préside : les scènes en question ne font que sertir un exposé didactique. En dépit de l’intérêt qu’éveillent ses aspirations atmosphériques et ses timides détours vers l’abstraction, L’Île rouge reste, de bout en bout, un montage d’intentions.