Rencontré le lendemain de la projection de 120 battements par minute, Robin Campillo revient sur la genèse de son film qui devrait en toute logique se retrouver au palmarès de ce 70ème Festival de Cannes.
Conceviez-vous dès son écriture 120 battements par minute comme un film de guerre ?
Lorsque j’étais à ACT UP, il se trouvait que tous ces slogans qui pourraient paraître un peu factices comme « Le sida, c’est la guerre / ACT UP en colère » prenaient corps à un moment ou à un autre. J’ai toujours pensé que nous étions en guerre. Nous avions des drapeaux avec notamment ces triangles roses comme si nous étions engagés dans des batailles perpétuelles. Nous avions ainsi une esthétique qui était pensée comme telle, à l’image de notre attitude dans les échanges. C’est pour cela que je tenais à montrer des militants qui débattent, créent une rhétorique et font du sida un objet politique. Cela permettait de créer des stratégies pour, par exemple, rentrer dans un laboratoire. Les gays et quelques groupes minoritaires avaient quand même subi le sida pendant 10 ans et grâce à ACT UP, nous partions enfin au front. Ce qui m’intéressait, c’était de figurer cette boîte à outils qu’étaient ces réunions hebdomadaires sous la forme d’un QG de résistance. J’adorais cette idée de voir des personnes fantasmer des actions et représenter ces actions comme un contrechamp à leur discours.
Vous filmez également les différentes perceptions que chaque activiste a d’une action.
J’aime l’aspect hirsute de ces représentations. Je ne peux plus faire des films où je prends le spectateur par la main pour lui expliquer ce que je veux dire. Il se trouve que je ne sais d’ailleurs pas trop ce que je veux dire… je ne crois pas que le cinéma soit de l’ordre de la communication. 120 battements est un film foisonnant parce qu’à ACT UP, on se posait la question de la théâtralité de nos actions. On avait le trac comme si on allait monter sur scène. Notre légitimité apparaissait au fur et à mesure de l’action parce que nous étions tellement en colère que lorsque nous arrivions en face des personnes que nous mettions en cause, cela explosait ! J’ai assisté à des scènes où j’étais embarrassé du niveau de colère des personnes qui parlaient… il faut être honnête avec ça ! Dans la première scène du film, un des activistes regrette le degré de violence de l’action menée.
Sean, un des personnages principaux, évoque la peur constante mais nécessaire qui s’empare de lui lorsqu’une action est conduite. Aviez-vous également ressenti cette peur lorsque vous vous êtes attelé à la réalisation du film ?
Oui, très peur. Pour plein de raisons. C’est tout d’abord un film compliqué, dur à écrire… ça m’a demandé beaucoup de travail. C’est un budget de 5 millions d’euros – ce qui n’est pas énorme vu l’ampleur du film. Même si 120 battements est un film fait à plusieurs et même si c’est un film historique (même si je crois qu’au fond qu’il ne l’est pas entièrement), il s’agit d’un film très personnel. C’est ma vision de ces années-là. Didier Lestrade, co-fondateur d’ACT UP et à qui j’avais fait lire mon scénario, m’avait dit qu’il s’agissait de ma vision assez sombre de cette histoire. Didier considérait ma conception de ces années comme un brin désespérée. Ce qui est normal puisque je prends le point de vue d’une personne malade qui se sait condamnée. ACT UP était l’endroit où des personnes qui avaient eu un parcours solitaire dans les années 1980 pouvaient s’unir pour un combat commun. Tous ces militants n’auraient pu jamais se rencontrer autrement. Ensemble ils forment une force politique incroyable ! Mais la maladie rattrapait aussi notre quotidien et certains militants, à l’image du personnage de Sean dans mon film, replongeaient dans la solitude…
C’est à l’image du récit que vous proposez : 120 battements se replie progressivement sur la vie de couple entre Nathan et Sean dont l’état de santé décline.
Oui, et le film passe aussi du point de vue de Nathan comme nouvelle recrue d’ACT UP à celui de Sean, même si en fait on reste toujours à côté de Nathan. On est au-dessus de son épaule : l’objet de son désir devient et reste Nathan. Dans mes films, j’aime multiplier la question du point de vue : rien n’est univoque. On me parle souvent d’une histoire d’amour entre Sean et Nathan…. cela me paraît étrange car ils s’enferment entre eux. L’un a besoin de l’autre. Je ne sais pas si c’est de l’amour… ça a voir avec l’amour mais on est plus sur quelque chose de l’ordre de la romance ou de l’attachement. Je me souviens qu’à l’époque les gens se mettaient en couple de manière précaire, c’était à peine des couples. Et lorsque l’un des deux tombait malade, l’autre devenait son garde-malade. Est-ce que c’était de l’amour, de l’amitié ou de la loyauté ? Je me souviens d’un ami dans cette situation qui était venu chez moi un soir et s’était mis à pleurer en se demandant s’il n’aimait pas son mec parce qu’il allait mourir… J’avais mis ces interrogations dans le film puis j’ai finalement tout coupé. Je préférais que les spectateurs sentent cet aspect-là sans alourdir le propos.