L’émotion intense qui a saisi le festival lors de la projection du troisième long métrage de Robin Campillo auréole déjà 120 battements par minute de cette prime un brin gênante : la Palme du cœur, décernée par on ne sait qui. Cette récompense, à la flamboyance souvent réduite à un argument promotionnel de plus, ne devrait surtout pas éclipser l’approche pourtant sobre, voire austère par moments, que le jeune cinéaste français – troisième film en 13 ans – apporte à sa fresque miniature des années ACT UP située au début des années 1990. Démarré sous les auspices d’un recrutement de nouveaux membres au sein de l’association de lutte contre le sida créée en juin 1989, le récit que Campillo conduit brillamment verra se succéder les différentes réunions hebdomadaires d’ACT UP dont les échanges longuement filmés apparaissent rapidement comme un des points névralgiques du film. Ce QG fait à la fois office d’agora bouillante et de cerveau à ciel ouvert : il cristallise les différents points de vue exprimés en ménageant une place primordiale à la parole (les différentes argumentations, les contradictions involontaires, les coups de gueule contre une structure encore toute vacillante…) traduite en actions suites aux décisions prises collectivement et dont la mise en scène, soigneusement choisie, travaille à la (dé)construction de symboles – ici principalement l’affrontement avec un laboratoire médical dont les militants mettent à sac les bureaux en recouvrant notamment leurs murs de faux sang.
Ce sang réapparaîtra plus tard, mêlé à l’eau de la Seine, traduisant les quelques velléités fantastiques que le cinéaste chérit. Cette nouvelle artère ainsi créée amène l’idée d’un film si préoccupé par le corps comme outil de lutte, qu’il en devient dans son montage un corps malade, rongé par les conséquences du fléau, figuré aussi par la représentation plein écran de l’activité microscopique des cellules sanguines infectées par la maladie. C’est que 120 battements par minute, de par sa narration en entonnoir ouverte à la multiplicité des situations et des personnages, prend le parti de réduire son champ d’action en se concentrant quasi exclusivement sur l’idylle entre Sean, petite teigne qui se sait condamnée par le virus, et Nathan, jeune recrue « séroneg ». Et cet équilibre que trouve Campillo entre les constructions collectives et les destins individuels donne alors tout son sens à 120 battements lorsque Sean se confinera dans la solitude de ses derniers jours. L’intensité dramatique du film, notamment atteinte dans un dernier geste bouleversant, ne retombera pas, s’achevant dans une dernière séquence au montage stroboscopique allumant l’idée que si chaque lutte est aussi d’une certaine manière une fête, certains lendemains ont un goût de cendre dans la bouche.