Les films de Jessica Hausner suivent, en dépit de leur cadres et inspirations très distincts, un même cap et plus encore un beau problème de cinéaste : comment filmer l’invisible et, dans le même temps, ne pas complètement le vider de son ambivalence ? Little Joe promettait beaucoup avec son récit lointainement inspiré de Bodysnatchers : Alice, phytogénéticienne, met au point une fleur qui, bien entretenue, sécrète un parfum rendant son propriétaire plus heureux. Sauf que rapidement le pollen émis par la plante vermillon semble imperceptiblement altérer l’humeur et la personnalité de ceux qui la hument.
Sujet parfait pour Hausner qui, inexplicablement, livre un film pourtant beaucoup plus carré et explicatif qu’à l’accoutumée. La netteté ordinaire de la découpe, qui privilégiait une fixité du cadre, glisse doucement vers une forme plus visiblement anxiogène (en témoigne la musique dissonante), mais aussi plus littérale dans ce qu’elle cultive : la naissance et la circulation d’affects (le doute et la peur) passent ainsi par la multiplication de travellings latéraux et de panoramiques qui figurent aussi l’effet de la fleur. Le film souffre peut-être par ailleurs de trop tabler sur ses décors qui décomposent l’espace en strates (les serres, les aplats de couleurs très nets) pour rendre plus visibles les traces de l’action de la plante (par exemple, le pollen qui se dépose sur les parois vitrées). Si l’écriture fait preuve ici et là de davantage de finesse (un raccord sur le fils d’Alice assis de dos, une scène de suicide où la découpe joue pleinement de la configuration spatiale du laboratoire), on s’étonne toutefois de la manière dont le film cultive jusqu’au bout un fantastique de façade – le récit trouve une résolution que l’on peut interpréter autant d’un point de vue rationnel que surnaturel –, tout en passant souvent par des dialogues qui surlignent des enjeux trop superficiellement pris en charge par la mise en scène. Restent quelque touches comiques où l’humour à froid caractéristique du cinéma d’Hausner fleurit à nouveau, mais rien qui ne vienne contrebalancer la déception de le voir perdre un peu de sa singularité dans ce film certes plus accessible, mais moins passionnant qu’attendu.