Jusqu’à présent, Guillermo Arriaga a attiré l’attention publique et critique pour son travail de scénariste : Amours chiennes, 21 grammes, Babel, (Alejandro González Iñárritu, 2000, 2004, 2006), Trois enterrements (Tommy Lee Jones, prix du meilleur scénario à Cannes en 2005). Loin de la terre brûlée marque aujourd’hui son passage à la réalisation. Confirmant la maîtrise d’une écriture devenue caractéristique, mêlant avec limpidité des destins croisés hors d’une chronologie logique, Arriaga révèle un certain talent de directeur d’acteurs, en se concentrant sur l’humanité poignante de ses personnages.
Au Nouveau-Mexique, baignés dans la torpeur des tons rouges et ocres du désert, Gina et son amant Nick vivent une passion dévorante à l’abri d’une caravane décrépie, où ils resteront enlacés dans une mort violente. La disparition des infidèles lie pour toujours la trajectoire de deux familles qui ne devaient jamais se rencontrer et bouleversent le destin de leurs enfants adolescents. Mariana, la fille de Gina, et Santiago, le fils de Nick, nourrissent alors l’un pour l’autre une curiosité morbide, avant de sombrer dans une attraction presque inévitable, évidemment incomprise par leur entourage. À Portland, Sylvia, un peu plus jeune que Gina mais tout aussi blonde et fragile, survit sans vivre. Cette directrice de restaurant célibataire s’oublie dans des aventures sexuelles sans lendemain. Dans la froideur de la côte sauvage de l’Oregon, seule au bord des rochers fouettés par le ressac, la belle Sylvia plie sous le poids d’une souffrance silencieuse. Un homme la suit sans cesse et observe son errance. Leur rencontre l’obligera à assumer son passé.
Il est difficile de parler ou d’écrire sur ce film sans trop en dévoiler, sans escamoter le plaisir du spectateur face à une intrigue se construisant comme un puzzle, séquence après séquence, entre plusieurs strates temporelles, plusieurs espaces géographiques et trois figures féminines au destin chaotique, dont le parcours n’est jamais présenté de façon chronologique. Évidemment, Loin de la terre brûlée rappelle les précédents scénarios de Guillermo Arriaga dans leur construction narrative, voire leurs thématiques. Cela pourra en conduire certains à déprécier ce premier long métrage. Mais ce que nous devons retenir ici, c’est l’attention minutieuse portée à la psychologie des personnages : trois portraits, trois âges de la féminité contrariée. Lassée des trop longues absences d’un mari routier et de ses responsabilités familiales, Gina, mutilée par un cancer du sein, retrouve la voie de la sensualité et du plaisir grâce à la chaleur du regard et du corps de son amant. La jeune Mariana somatise troubles psychologiques et culpabilité morale par le biais de brûlures flagellatoires. Sylvia se punit pour ses erreurs passées en entaillant symboliquement l’intérieur de ses cuisses. Les violences de la chair ne sont que les symptômes du délitement d’esprits fanés par la tourmente des événements de la vie.
Pour illustrer ce récit multiple, Guillermo Arriaga déploie une esthétique paradoxale de huis clos, dans de vastes espaces, toujours âpres, tantôt désertiques et arides, tantôt maritimes et froids, où les êtres se heurtent et se décomposent sous le poids traumatique des secrets. Qu’ils soient noyés dans ces paysages ouverts ou cloîtrés derrière une fenêtre sale, les personnages ne peuvent s’échapper à eux-mêmes. La beauté de la photographie et la longueur subtile des plans favorisent les transitions douces entre les différentes temporalités. La parcimonie de points de montage discrets contribue aussi beaucoup à la fluidité et à la clarté du récit. On devine progressivement où l’histoire va nous mener et l’on comprend les liens entre les différentes figures féminines bien avant qu’ils ne soient clairement énoncés à l’écran. Pourtant cette anticipation n’est ni frustrante ni ennuyeuse, car l’enjeu du film n’est pas là. Avec un sens du découpage remarquable, Guillermo Arriaga décortique les blessures, les faiblesses et les zones d’ombre d’êtres en errance, oscillant entre force et fragilité, entre douceur et violence. Il se dégage donc de ce film une profonde humanité, car le scénariste-réalisateur aime passionnément ses personnages et parvient à transmettre cette empathie. Les compositions de Charlize Theron (Sylvia), Kim Basinger (Gina) et Jennifer Lawrence (Mariana, prix Marcello Mastroianni à la Mostra de Venise 2008) participent grandement à la justesse de cette réalisation sensible et grave, que l’on espère n’être qu’un premier essai.