La présence de Dany Boon à l’affiche de Lolo marque sans aucun doute une étape dans la filmographie de Julie Delpy. Influencée par le cinéma new-yorkais indépendant et Woody Allen, celle-ci nous avait en effet jusqu’ici plutôt habitué à des comédies romantiques intimistes proclamant une marginalité qui rejoignait parfois un certain snobisme. Le repli sur soi délibéré d’un film comme Two Days in Paris (2007) étouffait un peu les grandes qualités qu’il possédait par ailleurs, son rythme, ses dialogues, ses situations originales et sa direction d’acteur. Si Le Skylab (2011) indiquait déjà un désir de se tourner vers une comédie plus populaire par son récit de vacances à la plage, la petite famille qu’il réunissait s’apparentait encore trop à une troupe de comédiens jouant pour eux-mêmes : sorte de Petits Mouchoirs mais de gauche, où Éric Elmosnino et Bernadette Lafont auraient remplacé Guillaume Canet et Marion Cotillard. Lolo est indéniablement libéré de ces petites vanités, et visiblement, cela permet à Julie Delpy de respirer.
Comédie populaire
Adolescent attardé et manipulateur, Lolo (Vincent Lacoste) est prêt à tout pour éloigner l’amant (Boon) de sa mère (Delpy). Poil à gratter, drogue dans le champagne, pulls en cachemire dans la machine… Delpy s’amuse à prendre le point de vue de l’enfant et à en reproduire les crasses. De son air d’éternel bambin égocentré, tête à claques touchante, Vincent Lacoste joue donc très concrètement à détourner la comédie romantique autiste, il l’empêche de trop s’écouter et de se recroqueviller dans son cocon.
Or, le projet de Lolo, c’est de faire passer Jean-René pour un beauf aux yeux de sa mère. J.R., comme il l’appelle, est un informaticien de province venu s’installer à la capitale. Violette, elle, vit dans un grand appartement parisien, travaille dans la mode, côtoie le grand monde. Pain béni des comédies françaises, la rencontre des classes sociales est incontournable. Delpy l’a bien compris, et elle ne déroge pas à la règle. Mais c’est avec subtilité qu’elle s’en empare. Dès leur rencontre, Violette et J.R. changent d’image l’un pour l’autre : il est moins balourd qu’elle le pensait ; elle n’est pas lesbienne comme il avait pu le croire. Par la suite, contre les attaques de Lolo, le couple ne fera pas autre chose ; il luttera sans cesse contre des définitions préconçues : le beauf, la snob. Contrairement à certaines mauvaises comédies populaires, Lolo n’est pas le récit d’une opposition sociale qu’il s’agirait finalement coûte que coûte de lisser, mais plutôt celui du refus permanent d’adhérer aux premiers termes de l’opposition. C’est là où le film est assez adroit car il pose bel et bien ces idées toutes faites, mais pour mieux donner à ses personnages la possibilité de s’en détacher. Elles n’ont lieu que dans l’esprit puéril et malade de Lolo. Delpy permet ainsi à ses personnages de dépasser leurs conditions, d’exister ailleurs que dans un déterminisme social ou à l’inverse un conte de fée.
Comme en témoigne la temporalité de son récit qui trouve à s’étendre sur plusieurs mois – après les programmatiques Two Days in… ou autre week end à la campagne –, la réalisatrice gagne en ampleur. Le film rassemble harmonieusement ses différentes inspirations et une filmographie un peu éparse. Lolo est donc bien une étape pour elle puisqu’en plus d’être son film le plus équilibré et le plus solide, il réussit le pari de la comédie populaire sans tirer sur les grosses ficelles habituellement de mise – chose rare ces dernières années. La preuve, elle offre au passage à Dany Boon d’incarner autre chose qu’un demeuré : ça lui va bien mieux.