Dans la famille des sous-genres cinématographiques qui comptent de fervents aficionados et une poignée de petites merveilles, le film « de potes » possède une saveur particulière. Quand il est bien mitonné, sa capacité à saisir en quelques scènes et une demi-douzaine de personnages une ambiance, un ton qui évoquent toute une génération font de lui, instantanément, un film culte que l’on prend un réel plaisir à voir et à revoir, même (surtout ?) lorsqu’il est daté. C’est le cas de certains gros succès (Quatre mariages et un enterrement) et petites confiseries oubliées (Peter’s Friends de Kenneth Branagh, Les Copains d’abord de Lawrence Kasdan) qui ont, en partie, servi d’inspiration au nouveau film de Guillaume Canet réalisateur. De toute évidence, Canet a bon goût : outre ces sympathiques références, il cite également, dans le dossier de presse, Vincent, François, Paul et les autres de Claude Sautet et Husbands de John Cassavetes, dans le sillon desquels Les Petits Mouchoirs tente de s’inscrire. Sur plus de 2h30, en jonglant entre le rire et les larmes, les petits drames et les grandes tragédies du quotidien, Guillaume Canet ambitionne de signer une grande fresque, à la fois intimiste et lyrique, sur l’amour, l’amitié, l’engagement, l’argent, la mort et les fouines. Rien que ça.
Les Petits Mouchoirs s’ouvre sur un accident tragique – filmée en plan-séquence, la scène est à la fois une démonstration du savoir-faire de Canet, mais aussi le moment le plus réussi du film, d’une redoutable efficacité et porté par un comédien (dont on taira le nom, pour préserver le suspense) assez étonnant. Le drame provoque la consternation dans l’entourage de la victime, qui devait partir en vacances avec ses potes, comme tous les étés. Ceux-ci décident malgré tout de ne pas annuler leur voyage et de se retrouver tous ensemble au bord de la mer. Entre petites crises et grosses révélations, l’amitié et l’amour vont en prendre un grand coup.
Très ambitieux, Guillaume Canet s’est visiblement attaché à écrire des personnages complexes et à rendre palpable l’affection qu’ils se portent. C’est une vraie qualité, hélas mise à mal par un scénario qui se traîne, multiplie les scènes inutiles destinées, on s’en doute, à installer une atmosphère faite de tout petits riens qui en disent beaucoup. Mais la télévision, cette vieille ennemie, a inventé une forme de narration qui peut multiplier les personnages et les intrigues à l’infini, sur plusieurs années, et même se permettre de ne parler de rien tout en restant passionnante : la série. Face aux modèles du genre, les 2h30 des Petits Mouchoirs paraissent bien maigres pour brasser les destins d’une dizaine de personnages principaux, et bien longues pour un art qui supporte difficilement les faiblesses de rythme et les lourdeurs de mise en scène. Guillaume Canet navigue d’un personnage à l’autre en accordant à chacun une vraie dimension romanesque, et on croit à l’amitié qui les lie les uns aux autres, mais l’écriture est trop bancale pour cimenter l’ensemble. Marion Cotillard, en néo-bab à la sexualité débridée mais à la vie affective en berne, et Benoît Magimel, en père de famille travaillé par un désir inattendu, sont par exemple mieux servis que François Cluzet, totalement hystérique en connard parvenu, ou Gilles Lellouche, un peu lourdingue en gentil beauf. On peut aussi déplorer que les autres personnages féminins soient purement décoratifs…
Entre jolis clichés pour cœurs d’artichaut (déclarations d’amour impromptues et ballades à la guitare sur la terrasse) et gros lieux communs indigestes sur la place du fric dans l’amitié (un vrai sujet, ici survolé) ou l’ambiguïté sexuelle entre potes hétéros (thème casse-gueule et maladroitement traité ici), Les Petits Mouchoirs se laisse regarder avec curiosité : où cela va-t-il bien pouvoir nous mener ? Hélas, la réponse est sans appel : droit dans le mur. La dernière demi-heure, catastrophique, sombre dans le pathos le plus abject et saupoudre sa complaisance pour les larmes de crocodile avec une pincée de leçon de morale peu ragoûtante. C’est d’autant plus dommage que le film, dans ses rares fulgurances, touche précisément par sa maladresse et sa sincérité, réellement émouvantes. Mais c’est trop peu pour le sauver de l’oubli : entre Sautet et Cassavetes, Canet a encore besoin de grandir avant de prétendre tutoyer les géants.