Qu’on ne s’y trompe pas : s’il a beau être réalisé par Éric Omond – lui-même issu de la bande dessinée –, Loulou est, comme son affiche l’indique, un film « de » Grégoire Solotareff. Cet auteur de très beaux livres pour enfants (Un chat est un chat), déjà passé au long-métrage de cinéma avec brio en 2006 avec U, prolonge ici l’histoire d’un de ses personnages clés, Loulou, un jeune loup adopté et élevé par des lapins. Après plusieurs livres, il avait déjà été le centre du premier pas dans l’animation de Solotareff en 2003, en moyen métrage. Il part ici en compagnie de son « frère » (lapin) Tom, à la rencontre de ses origines, une dynastie de loups aristocrates, à l’occasion d’un « festival de carne » où carnassiers et herbivores ne font pas bon ménage.
La capacité qu’a l’écriture de Grégoire Solotareff à accrocher provient d’un joli travail de ton, qui se garde bien d’affecter d’ingénuité tous les timbres de voix au prétexte que cela serait un point indispensable du cahier des charges d’un film d’animation. U était déjà la preuve que non : esquivant soigneusement toute forme de régression candide, les films de Solotareff s’efforcent de sonner dur, de donner de leur voix rocailleuse (Sanseverino dans U), et amènent ainsi à s’entrechoquer d’une part un ton léger, familier, quotidien, et d’autre part tout de même une forme de merveilleux (s’approchant ainsi de la série de bandes dessinées Donjon, par exemple).
Le résultat est donc une sorte de dessin-animé-pour-enfants-pour-adultes, dont la trajectoire est celle du conte initiatique, mais dont les personnages ne semblent s’adresser qu’à moitié au jeune public tant le texte multiplie les clins d’œil aux grandes personnes (Simon-Edgar Finkel, « souvent renarde varie », « le loup est un loup pour le loup »…), notamment dans les voix. Le récit de Loulou prend son point de départ dans un de ces havres de bohème paresseuse chers à Solotareff, avec un arbre-maison qui n’est pas sans rappeler U, mais s’embarque rapidement dans l’exploration d’une cité médiévale en forme de tête de loup, dont le quotidien n’est que mondanités, réceptions et chasses dans la forêt avoisinante. Si l’on voit d’abord le film se laisser mollement porter par la courte ambition de dénouer une intrigue à trois ou quatre personnages à l’intérieur d’un espace clos, il faut bien reconnaître à Loulou une éclosion en deuxième partie qui voit Solotareff aller battre les terres de Miyazaki, lançant de francs appels du pied à des films comme Mononoké – la chasse au dieu-cerf ici mû en biche, la guerre entre la civilisation invasive, destructrice, et l’ordre naturel mangeur-mangé – ou Chihiro – la sorcière-corbeau multiforme. Citant le maître japonais par motifs plus que par atmosphère générale, Loulou en récupère néanmoins une forme de grâce poétique qui entonne une nouvelle voix dans le chœur du film, un appel onirique.
À l’arrivée, c’est toujours avec beaucoup de plaisir qu’on reconnaît cette façon de laisser le récit s’habiter autant qu’on le souhaite, se débarrassant ainsi de la tradition de candeur forcée du répertoire « jeunesse ». Cette race de films d’animation, qui est aussi celle de Fantastic Mr Fox par exemple, n’affleure que trop rarement et, il faut le dire, trop souvent de réalisateurs dont la participation au cinéma jeune public n’est que ponctuelle, irrégulière, aussi souhaite-t-on à Grégoire Solotareff d’attendre un peu de moins de sept ans, cette fois, pour produire son troisième long-métrage.