Né en 1953 à Alexandrie, papa médecin d’origine libanaise et maman peintre illustratrice russe, Grégoire Solotareff étudie la médecine à Paris. Au bout de quelques années de pratique professionnelle, il se consacre entièrement au dessin et à l’écriture, tous les deux tournés vers le monde de l’enfance.
Sans fioritures, il raconte toujours son histoire, parfois agrémentée de dessins en couleurs, parfois seulement touchée par la grâce d’un tracé au noir, en impliquant son lecteur dans la vie de ses personnages. Les actions ne priment pas, c’est bien plutôt ce qui se trouve en amont, sentiments, caractères, qui l’intéresse. Après viendra le temps d’agir, de faire, de défaire.
Ses livres sont traduits dans le monde entier et au sein de l’École des Loisirs, il dirige la collection « Loulou & cie ». Après l’écriture d’une histoire dénommée U, il décide d’en faire un film d’animation.
À travers, ici, un parcours baigné par les influences cinématographiques et picturales, Grégoire Solotareff, qui ressemble physiquement quelque peu à Jean Reno, donne le portrait d’un créateur discret et exigeant. À l’encontre de beaucoup de ses confrères cinéastes animateurs, il préfère penser faire du cinéma que de réaliser un dessin animé.
Avant Loulou et autres loups, aviez-vous eu l’envie de voir vos histoires et vos dessins s’animer sur grand écran ?
C’est venu au bout d’un moment. J’étais très heureux dans mon métier d’illustrateur et on me demandait de temps en temps des droits pour utiliser certaines histoires, des dessins, cela n’a jamais abouti à quelque chose de sérieux. Un jour, j’ai eu envie d’écrire une histoire qui était beaucoup plus longue que pour un album et qui était U. J’ai écrit cette histoire et je me suis dit que c’était plus un film qu’un livre. Je l’ai apportée à Prima Linea Production pour leur montrer. On s’est alors dit que c’était ambitieux, un peu trop, et que ce serait plus malin de faire quelque chose de plus modeste et de prendre Loulou qui existe comme livre et de l’adapter au cinéma pour savoir si on sait faire, si ça marche, si on aime ça. On a fait Loulou et autres loups et ce film a bien marché. Cela nous a permis, entre autres, de démarrer le projet U.
Vous avez donc rencontré Serge Elissalde à cette occasion…
Effectivement, Serge Elissalde a été contacté pour Loulou, il faisait à cette époque des courts métrages d’animation qu’on aimait. Serge et moi, on s’est tout de suite bien entendus.
Votre mère, Olga Solotareff, était illustratrice. Est-ce que le dessin a été tout de suite une part importante de votre vie ? Quelles influences, quel peintre, quel film ont alors marqué votre jeunesse ?
Enfant, je n’allais pas au cinéma. J’ai vu des dessins animés sur le tard. Ma famille, en revanche, était bien entendu très dessin, très peinture, on allait beaucoup au musée. Et j’ai beaucoup copié, copié des scènes, des peintres, j’ai beaucoup travaillé sur des illustrateurs allemands du XIXe siècle comme Rodolphe Toepffer.
Et lorsque vous avez eu envie de faire des dessins animés, est-ce que vous êtes allé voir des longs métrages d’animation ?
Évidemment. Sans avoir aucune culture en film d’animation et parce que j’avais des enfants, oui, j’ai vu beaucoup de dessins animés. J’ai mes préférences, les anciens Walt Disney me plaisent toujours énormément, en particulier les décors plus que les personnages. Il y a une féérie qui est vraiment là et très influencée par la peinture symboliste, comme par le romantisme et les illustrateurs allemands du XIXe. L’esthétisme allemand est très illustratif. J’ai vu aussi les Miyazaki et tous les films d’animation apparus à la télévision. Mais sans passion, avec l’idée qu’il manquait toujours dans le dessin animé du cinéma. Ce sont souvent des cartoons, de l’action, des gentils, des méchants, très manichéen, pas assez d’émotion, pas de temps morts, contemplatifs.
Et les Français ? Paul Grimault et Le Roi et l’oiseau, Michel Ocelot ?
J’ai aimé Le Roi et l’oiseau tout en le regardant comme étant avant tout un film historique, daté, tout comme Disney d’ailleurs, même les premiers Miyazaki. Ils ne font pas actuels. De Michel Ocelot, j’ai vu les courts métrages et les deux Kirikou. Même si on est très différents sur le plan graphique, je crois qu’il y a chez lui une volonté d’ouvrir le cinéma d’animation français au public. Avant lui, personne n’aurait monté un long métrage comme Kirikou… Il a ouvert la voie en faisant quelque chose de qualité et qui tenait la route économiquement pour les producteurs. Après, il y a eu Les Triplettes de Belleville (Sylvain Chomet, 2003), La Prophétie des grenouilles (Jacques-Rémy Girerd, 2003). Mais l’exemple reste pour moi Miyazaki, pas sur le plan esthétique mais sur le plan de l’émotion.
La facture plastique et cinématographique est différente de Loulou et autres loups à U. Vous êtes passé aussi à la réalisation. Serge Elissalde étant lui-même dessinateur et réalisateur, comment cette coopération s’est-elle effectuée ?
Au départ, il était très clair pour moi qu’une fois que j’avais écrit le scénario, les dialogues, dessiné les personnages, il fallait que U se fasse à deux. Il y a eu beaucoup de croquis, de Serge, de moi pour arriver à U. Lui a sa part de réalisateur animateur et il a dessiné le story-board. Ce story-board a donné lieu à beaucoup de discussions entre nous pour rentrer dans un univers que parallèlement je dessinais à l’aquarelle, décors, personnages. Il est à son tour rentré dans mon univers, a lu et feuilleté mes livres, il le devait en tant que réalisateur. On voulait tous les deux travailler dans un univers à moi. C’est assez naturellement qu’on est arrivés à faire des décors l’un et l’autre dans un cadre déjà défini. Moi, j’étais plutôt dans la direction artistique, dans le décor et lui plutôt dans la mise en scène et dans la direction d’animation. Après, on a travaillé en dessin animé mais également en 3D. La 3D, vous la retrouvez dans les décors, pour donner une espèce de réalisme, et aussi au générique final lorsque U revient. U est en 3D, elle a un tracé très particulier et elle est très jolie.
[L’interview s’arrête ici quelques instants. La comédienne Vahina Giocante, la voix du personnage de la licorne U, vient de faire son apparition dans les bureaux de la production. Après les salutations d’usage, Grégoire Solotareff parle du casting voix dans U.]
On voulait des acteurs pour les voix et surtout des voix particulières qui aillent avec les dessins, avec les personnages.
Effectivement, Bernadette Lafont ou Isild Le Besco, qui a une voix très lascive, fonctionnent idéalement. Il y aussi Guillaume Gallienne…
Sachez que Guillaume jouait d’ailleurs dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Un des rôles principaux, un ministre conseiller de Louis XVI. Il est bilingue, vous savez. Il est très cultivé et vient de la Comédie-Française.
Il y a d’ailleurs beaucoup de dialogues pour un film d’animation qui n’est surtout pas un film exclusivement pour les enfants.
Oui, on peut me reprocher tous ces dialogues. Je préfère les rapports humains à l’action. Je préfère écrire sur les gens que sur l’action. Donc, c’est un peu bavard, peut-être que cela donne l’impression que c’est plus adulte. Disons que c’est mon goût, j’aime bien les bavardages et les scènes où il ne se passe rien.
Il y a des références cinématographiques dans U, notamment Le Mépris de Jean-Luc Godard. Une scène de votre film est une variante subtile de la scène la plus connue du Mépris. De même que les plans sur la plage où se dore Mona renvoient à la plage filmée en plongée où se dore Bardot, la structure du château dans U renvoie à celle de la villa chez Godard.
Godard, ça va au-delà du gag. Il y a dans Le Mépris une esthétique particulière avec un jeu de trois couleurs, jaune, rouge, bleu, surtout dans les plans de fond. C’est très peu analysé par les critiques mais cela sert le film U. Ce sont ces trois couleurs que j’ai reprises, dans les fonds. Le reste, c’est vraiment de la peinture, Gauguin, Félix Vallotton, des gens comme ça. On est de toutes façons influencé par ce qu’on aime, il y a certainement des choses plus ou moins conscientes qui influencent le travail, mais je ne dirais pas qu’il y a d’autres références explicites, cinématographiques, dans U. En revanche, j’ai déjà lu une critique sur U qui dit que ce film est « rohmérien », à cause du bavardage, des dialogues, et des scènes plus contemplatives. C’est vrai que lorsque l’on regarde un film de Rohmer, on est happé par les dialogues plus que par l’image, par cette logique du fil qu’on tire.
Le dernier plan du film cadre des coquelicots et la facture de la fleur n’est pas travaillée de la même façon.
Le coquelicot est ma fleur préférée et je l’ai traitée de façon réaliste, j’ai redessiné des coquelicots qui étaient dans le jardin de la boîte de production, je les ai peints réalistes car dans mon idée, on entrait, à la fin du film, dans la réalité. On quitte le monde de l’enfance une fois le film fini.