Une voiture roule lentement le long du grillage d’un lycée. Des jeunes filles y jouent au basket. Une caméra subjective s’attarde sur leurs corps en gros plan, au ralenti. Par cette variation inaugurale autour d’Halloween de Carpenter, ce premier long métrage nous plonge immédiatement dans le très dérangeant point de vue de John et Evelyn White, un couple des eighties qui enlève des jeunes filles pour en abuser sexuellement avant de les enterrer ni vu ni connu dans le bush australien. Mais le film apporte bientôt un troisième point de vue, celui de Vicki, nouvelle adolescente kidnappée par ces nouveaux « Tueurs de la lune de miel ». À travers le regard de celle-ci, on découvre que John tient Evelyn sous son emprise. Le jeune acteur/cinéaste Ben Young part ainsi d’une certaine maîtrise des codes du film de psycho killer pour explorer avec une cruauté saisissante les terrifiants mécanismes de la manipulation psychologique dans l’intimité d’un couple.
Horribles promiscuités
À la différence du très récent Creepy de Kiyoshi Kurosawa, Love Hunters dévoile immédiatement l’intérieur de la maison des White pour mieux en révéler le quotidien malsain. Parmi les vieux meubles seventies et la cuisine en formica, tout est signe de l’obsession de John et de la tyrannie qu’il exerce sur sa femme : le rituel d’un petit-déjeuner parfaitement aligné sur la table que l’époux mangera seul, les chaussures impeccables sur le pas de la porte, le chien Loulou toujours chassé de la maison, le bain donné aux victimes en attendant le retour du « maître », le nettoyage des traces de viol et de torture, entre mouchoirs ensanglantés, traces d’urine et de larmes et godes salis. Par ce réalisme aussi poisseux et gluant que le papier peint de la maison, le spectateur est contraint en même temps que la jeune Vicki à une promiscuité effrayante avec les personnages. L’horreur tient en effet à cette absence totale et sordide de limites entre la vie publique et l’intimité comme à la fin du Silence des agneaux de Jonathan Demme, où un autre impose brutalement son corps, sa volonté et ses fantasmes. Le chien de la maison défèque systématiquement dans l’entrée, symbole du dérèglement qui s’est emparé de toute la famille. Le premier indice de terreur pour Vicki sera aussi la découverte de sextapes sur des ados qui traînent parmi les vidéos du séjour. La circulation des personnages dans la maison des White est déjà l’expression d’un viol annoncé : John entre où il veut, quand il veut, dans les toilettes ou dans la chambre de Vicky, parfois nu et rose comme un ver écœurant. Le huis clos de la maison devient donc le territoire privilégié du suspense : un espace plein de couloirs et de murs propices au hors-champ où John risque toujours de surgir lorsque l’astucieuse Vicki cherche à s’échapper.
Scènes de la vie conjugale
Ben Young mêle ainsi habilement les ingrédients d’un thriller efficace et ceux du drame sentimental. La jeune fille vient en effet perturber l’ « harmonieuse » économie du couple : John est sous le charme, et voudrait la garder pour lui seul. Et la seule chance pour la jeune fille d’en réchapper est de provoquer une prise de conscience chez Evelyn White, en guettant les moindres failles de sa relation à John. Ainsi le mélodrame de cette vie conjugale déviante devient astucieusement le centre de l’intrigue. Les nombreuses scènes de dispute entre Evelyn et John revêtent un double enjeu : chaque mouvement de rébellion d’Evelyn contre son mari est porteur d’un nouvel espoir de libération pour Vicki et le spectateur, mais elle permet en même temps une analyse passionnante du fonctionnement destructeur de ces amants terribles – le pouvoir incroyable des paroles enjôleuses de John sur sa femme, la terrible dépendance affective de celle-ci, au point de menacer de se trancher la gorge par jalousie. Le récit accorde ainsi une importance grandissante au point de vue de cette femme vulnérable qui apprend laborieusement à penser par elle-même et à se déprendre de l’emprise de son amant criminel. La force du film tient aussi à l’empathie avec ce personnage mi-victime et mi-monstre, subissant la séparation de ses deux enfants, le dénigrement systématique, la manipulation hypocrite, jusqu’à la destruction ultra violente et glaçante du peu qui lui restait encore. L’extrême cruauté de la mise en scène du jeune cinéaste n’a donc ici rien de complaisant : elle sonne juste pour dire la spirale de folie dévastatrice où s’est engouffré ce couple de déséquilibrés.