Originaire de la communauté ultra-orthodoxe de Bnei Brak, Menahem Lang souffre d’un traumatisme psychique que seul le chant parvient à apaiser. La réalisatrice Yolande Zauberman, qui a repéré le jeune homme en 2002 dans Kedma d’Amos Gitaï, lui permet de se reconstruire par le témoignage dans M, documentaire accompagnant le retour du cantor dans sa ville natale dix ans après y avoir affronté et dénoncé l’un de ses violeurs, le rabbin Moshé. Ponctué de conversations en voiture mêlant amertume et légèreté, le film débute comme un récit de vengeance pour muer en une entreprise de libération collective qui implique tous les « enfants blessés » que le protagoniste croise au fil de sa quête. Que ce soit sur une plage déserte de Tel Aviv, bercée par le bruit des vagues, ou dans le silence du cimetière où Menahem avait l’habitude de se réfugier la nuit, la caméra aménage un espace où la parole est libre de se déployer, sans jugement ni discours moralisateur, entre les victimes d’un même mal – la banalité des violences sexuelles dans une société où la religion constitue la matrice de la vie quotidienne et intime. Plutôt qu’un règlement de comptes avec ses agresseurs, ce qui finit par sauver Menahem tient à sa capacité à dépasser son seul cas personnel pour se mettre à l’écoute des autres et se faire l’incarnation de son prénom, qui signifie le « consolateur ».
Si Zauberman initie ce retour aux origines qui s’avère être aussi le sien (« J’entre dans le monde de mes ancêtres à travers une blessure » confie-t-elle en voix off), elle échoue à trouver une forme qui épouse pleinement la trajectoire intérieure de Menahem. Au départ, le style diffus et éclaté de M, porté par les ondulations et les cadrages inclinés d’une caméra toujours braquée sur les visages, traduit la perte de repères du personnage, qui se sent déraciné et éternellement prisonnier de son trauma. Sur la route menant de Tel Aviv à Bnei Brak, les hommes et les paysages défilent comme les fragments incertains d’un rêve, comme les notes syncopées d’un morceau de jazz qui n’atteindra jamais sa conclusion, pris dans l’incontrôlable tourbillon de la temporalité traumatique. Mais le film ne s’épanouit pas sur le modèle de son protagoniste et s’enferme dans le confort de son dispositif. Tandis que Menahem se défait de son passé et s’ouvre au monde, l’écriture reste quant à elle figée dans une simple stratégie d’immersion. L’enchaînement de gros plans maintient ainsi la sensation de claustrophobie à des moments où elle se dissipe pour Menahem, comme lorsqu’il se réconcilie avec ses parents qui l’avaient rejeté ou qu’il retrouve un sentiment d’appartenance auprès d’un groupe de hassidim qui l’accueille à bras ouverts pendant une fête. Il en résulte que le personnage l’emporte sur le film, dont il demeure le véritable metteur en scène. Doté d’une puissante voix de ténor vibrant avec émotion, Menahem est avant tout un performeur et il est invité à s’emparer de son don pour reprendre sa destinée en main, provoquant une catharsis collective qui esquisse sa mélodie et son esthétique propre.