Judicieux choix de sortie que ce début de mois de septembre, qui sied bien aux teintes brunies de Ma belle gosse : même si, imprégné d’atmosphère estivale, il s’insère logiquement dans l’agenda culturel des beaux jours, il y occupe pourtant une place joliment crépusculaire, tenant autant du soleil que de la tombée du soir. Entre plage, vélo, repas et jeux de société, une ribambelle de parents et d’enfants coule d’agréables vacances dans la grande maison familiale de l’île de Ré. La généalogie n’est que succinctement ébauchée ; ainsi le spectateur s’épargne-t-il toute collecte d’informations précises pour se laisser plutôt bercer au fil des scènes par la captation hasardeuse du quotidien proposée par Shalimar Preuss, qui filme ce collectif en caméra portée. Au centre, Maden, adolescente au beau visage tacheté, entretient secrètement une liaison épistolaire avec un détenu de la maison centrale de Ré.
Parfait film d’été indien
Dans la cohorte des puissants gestes éclos en 2013 dans le cinéma français, Ma belle gosse souffre un peu, et c’est dommage. La petitesse du film ne saurait en rien justifier son effacement devant les objets certes plus remarqués que sont La Bataille de Solférino ou La Fille du 14 juillet. Même si son vignettage d’anecdotes glissées confère à l’ensemble un certain sentiment de banalité, il se dote aussi d’une belle richesse d’écriture, qui a certes tous les signes de la paresse mais cache une véritable élégance. Shalimar Preuss s’avère d’une grande sensibilité quand elle en vient à orner son portrait de groupe, tissant un canevas d’alliances cachées (les deux cousines), de tensions sourdes (les rapports entre adultes), de voix fortes (le benjamin) ou délicieusement discrètes (la petite rousse), qui parvient à littéralement peupler son film. Ma belle gosse devient ainsi un espace, que ses multiples personnages viennent habiter, c’est à dire circuler dans les scènes sans jamais prendre de place fixe.
Portrait de groupe en sourdine
Il reste néanmoins vrai que le résultat manque d’une colonne vertébrale. Plus exactement, celle qui devrait le maintenir debout s’avère bien trop légère : l’amour platonique de l’adolescente et de son mystérieux détenu creuse un trou noir au milieu du film. L’argument renvoie dans le domaine du secondaire tout le subtil portrait collectif proposé par Shalimar Preuss, alors même que le centre de l’intrigue reste très fuyant, à peine dessiné par quelques visites infructueuses à la prison, une poignée de disputes entre cousines, et englouti pour tout le reste dans le mutisme de Lou Aziosmanoff. La jeune actrice semble concentrer sur elle-même à la fois la réussite et l’insuccès de Ma belle gosse : réussite parce que la saveur estivale et patiente du film, élégamment posé à la surface des choses et des personnages, s’incarne à merveille dans son visage délicatement fermé ; insuccès parce que c’est clairement sur ce verrouillage que bute la réalisatrice, qui dans sa façon de le scruter inlassablement, semble attendre de ce corps de jeune fille qu’il élève le film au-dessus de son insignifiante matière, qu’il fasse résonner ces fragments de réalité au-delà du banal. La magie n’arrive jamais, même si le charme, lui, opère.