De la forme courte à laquelle Antonin Peretjatko est resté chevillé pendant près de dix ans, on pouvait redouter une certaine accoutumance. Ce temps manquant, c’était devenu pour ce cinéma une sorte d’alibi, le parfait prétexte pour foutre toute idée de récit sens dessus dessous. Dynamitant sa trame pour en récolter les scories, il transformait la mise en scène en exercice de collage foutraque et grimaçant, où le gag se voyait répandu sur la totalité du spectre. De là ce style si particulier, et qui doit peut-être autant à Jean-Luc Godard qu’à Max Pécas, mais dont on pouvait s’interroger sur sa capacité à conserver un entrain aussi fougueux sur la distance d’un long-métrage.
En guise de marathon, La Fille du 14 juillet propose de suivre une bande de pieds nickelés hirsutes et parisiens, bien décidée à filer en vacances malgré une directive nationale rappelant la France au travail. Idée ravissante, lièvre narratif idéal, aux basques duquel le récit restera rivé et qui, de l’agitation urbaine à la tranquillité balnéaire, fera vasouiller ses pantins sur une départementale prétexte à toutes les sorties de route. Tout d’abord, parlons du plaisir. Celui de retrouver tel quel, c’est-à-dire vif et intact, cet humour inventif et débraillé : en cette période diluvienne, ce bombardement de pitreries ensoleillées se conçoit comme une vraie réjouissance pour l’humeur. Certes, pour qui connaît ce cinéma, ce choix de la surchauffe – comme vitesse de croisière – et du décrochage – comme logique de progression – n’aura rien pour étonner. La Fille du 14 juillet est un film attendu, et dont les qualités manifestes, à ce titre, risquent pour certains de paraître prévisibles. Mais ce serait vraiment faire un mauvais procès à Peretjatko que de lui reprocher d’avoir « uniquement » réussi à passer le cap du long-métrage, « et rien d’autre ».
S’il est une crainte, en revanche, c’est de voir cette surenchère dans l’efficacité se retourner contre le film. Minutieux et sûr de lui, La Fille du 14 juillet est composé de mille astuces et d’autant d’attentats, savamment placées à chaque recoin de chaque scène, mais qui tendent parfois à la démonstration de puissance. Ce calfeutrage constant du récit par le gag peut ainsi donner l’étrange sensation que, malgré son éblouissante fraîcheur, son 16mm bariolé et ses 22,5 images/seconde, le film manque d’air. Dans l’ensemble, ça fuse ; ponctuellement, ça patine. Manière, du reste, de se rendre compte que le manque d’adhérence est précisément ce qui fait office de boussole à la mise en scène de Peretjatko : c’est une sorte de terrorisme du gag qui soumet le film à ses humeurs, à ses scansions, à ses caprices. L’humour est forcé, mais anguleux : il sursaute, tressaille, inquiète le récit. Canulars, chutes à retardement, jeux de mots, rébus visuel, contrepoints sonores s’accumulent ici moins par juxtaposition que par carambolage. Artificier virtuose, Peretjatko a une manière unique de faire dérailler ses scènes – raccrochant ensuite les wagons comme on s’arrimerait à un avion en chute libre.
Il y a une saturation dans La Fille du 14 juillet qui a cela de commun avec l’acharnement, l’embarras, l’écœurement : c’est cette guillotine qui coupe d’abord un doigt puis une tête, c’est cette soupe de cheval qu’on dégueule dans une assiette puis sur la table. Chaque gag semble ainsi être le boulon, la vis, la pièce éjectée d’une machine qui s’emballe. Celle de la comédie française, premièrement, dont on ne cesse ici de plaindre la morosité, et qui apparaît ici sous un jour angoissé certes, mais plein de couleurs et de vitalité – à tel point qu’on peut considérer que le film assume la noble tâche (ou le terrible fardeau) de compenser par sa prolixité l’impuissance des autres. Mais cette machine dysfonctionnelle, c’est celle, aussi, bien sûr, d’une société française que Peretjatko, malgré une surabondance d’anachronismes et de détails désuets, sait croquer dans toute sa modernité – qu’il s’attendrisse du devenir publicitaire de sa capitale (déjà condamnée, comme dans French Kiss, à la carte postale) ou qu’il en détaille les signes grotesques de désenchantement. À ce titre, le générique cartoonesque, qui détourne à mépris égal le hiératisme institutionnel de la droite et de la gauche, est une belle preuve de la veine gavrocharde de ce cinéma.
La Fille du 14 juillet s’offre comme un remède pétillant, mais peut-être moins gentil qu’il n’en a l’air. Si Peretjatko n’oublie jamais d’être intelligent dans son humour, il n’oublie pas non plus d’être drôle dans son sérieux. Comme The Party de Blake Edwards parodiait La Notte d’Antonioni, on a parfois le sentiment devant le film d’assister à une parodie de serial post-soixante-huitard, pleine de poussière libertaire et de vapeur estudiantine. Sauf que l’habituelle boutique révolutionnaire – mélancolique et nombriliste – se transforme ici en petit magasin de farces et attrapes – ludique et réflexif. Millimétré formellement, railleur politiquement, le film est à la fois conscient d’être inoffensif (comme ce pavé en mousse que l’héroïne jette sur un flic imperturbable) et convaincu que ses velléités dissidentes auraient de toute façon quelque chose de l’imposture et de la névrose individuelle (le personnage du médecin, navrant, est à tomber par terre). Plus drôle que Turf, plus lucide qu’Après Mai, La Fille du 14 juillet convainc et emporte par l’enthousiasme. Qu’avec sa soupe de cheval et ses situationnistes en maillot, Peretjatko parvienne à renvoyer face à leur même nullité Onteniente et Assayas, cela donne en tout cas une petite idée de sa justesse.