Mariage à l’islandaise emprunte autant au road-movie psychologique qu’à la comédie bouffonne: le dépôt d’un si curieux mélange de froideur scandinave et d’effusion slavophile n’a rien d’un brouet sans saveur. Il s’apparente plutôt à une grosse soupe grumeleuse, plutôt indigeste même si généreuse.
Quel est le point commun entre Festen, Le Nouveau Monde et Eternal Sunshine of the Spotless Mind? A priori, on a du mal à se décider. Pourtant, chacun de ces films a été monté par la même personne, Valdís Óskarsdóttir. Cette dernière s’acoquine avec la réalisation dans ce nouveau long-métrage islandais, distribué sous nos latitudes avec la désormais inébranlable épithète des nationalités « exotiques » (pensons à Happy Sweden, A Swedish Love Story ou encore Un conte d’été polonais). Censées chatouiller l’appétence folklorique du cinéphile en manque de « diversité », ces appellations ne font que confiner le cinéma européen dans sa marginalité pittoresque. Revenons au film lui-même et à son pitch: des mariés et leurs invités se perdent sur les routes caillouteuses des fjords de l’ouest islandais, à la recherche d’une église réservée pour l’occasion. Tradition islandaise, un certain nombre de futurs mariés célèbrent la cérémonie religieuse dans un champ de lave séchée avant de regagner en soirée Reykjavik et ses vices gomorrhéens. L’occasion est belle pour découvrir la nature sauvage et lunaire de cette région d’Islande, aussi majestueuse qu’effrayante. L’intention de la réalisatrice se résume en une tentative de démonstration d’un axiome indépassable: on peut choisir ses amis mais on ne choisit pas sa famille. En effet, ce petit road-trip est prétexte à une catharsis familiale révélant toutes les névroses cachées et rancœurs sous-jacentes de la joyeuse tribu réunie.
L’ombre tutélaire de Festen semble rôder avec insistance autour de ce petit monde, le CV de la réalisatrice confirmant cette filiation. On est cependant loin de la violence cynique et du trauma infligés par le film de Vinterberg, l’influence est nette mais la copie plutôt terne et délavée. Le film a même plutôt tendance à agacer et submerger le spectateur sous les cris et les lamentations bruyantes des personnages, à la manière d’un certain courant d’Europe de l’est sous l’emprise du style Kusturica: ça crie, ça braille, ça vitupère. Óskarsdóttir a souhaité convier à cette foire d’empoigne une troupe de comédiens spécialisés dans l’improvisation. Porte ouverte sur les mœurs islandaises, le film est également une expérimentation in-situ des relations humaines: avant de tourner une scène, les acteurs ne connaissent que la trame générale de l’intrigue, charge à eux de remplir les vides du scénario. Le film gagne ainsi en spontanéité et en simili-fraîcheur naturelle ce qu’il perd en finesse des dialogues et des situations.
Cette stratégie basée sur l’improvisation est séduisante théoriquement mais constitue dans les faits une sorte de garde-fou créatif. Paradoxalement, l’absence d’un scénario préexistant au tournage dévitalise le film, le charge d’une force inerte et, disons le, mortifère, malgré l’exubérance des motifs psychologisants. De cette impression naît une gêne étrange, un malaise diffus, celui d’assister à un spectacle d’illusions: des êtres sans relief fanfaronnent à l’écran en laissant le spectateur en permanence à l’extérieur, comme observateurs d’une supercherie grand-guignolesque, bien aidés pour cela par une mise en scène à la neutralité poussive. L’effet n’est pas nécessairement sans charme et recèle même sa part de séduction intermittente. Il a cependant grand mal à s’étirer plus longuement que le temps d’une séquence. Mariage à l’islandaise n’est pas un film inintéressant mais rien ne vient l’extirper de son statut d’excentricité pittoresque et assez inconséquente. À voir comme une curiosité un peu fanée.