Avec Médecin de campagne, Thomas Lilti poursuit son exploration du grand paysage des métiers de la santé en France. Après l’hôpital dans Hippocrate, le réalisateur parcourt les routes pour mettre en scène la figure du médecin de campagne, personnage populaire et sympathique, à l’image des prétentions de sa nouvelle comédie.
La simplicité des sentiments
De nature dévouée, le bon et gentiment bourru docteur Werner (François Cluzet, taillé pour le rôle) se retrouve confronté à sa propre vulnérabilité lorsqu’il apprend qu’il est atteint d’une tumeur. Si la maladie menace la poursuite de son activité, c’est bien plus la nouvelle recrue (Marianne Denicourt), qui vient perturber le quotidien du médecin. Réinvestissant certaines recettes déjà à l’œuvre dans Hippocrate, le réalisateur construit à nouveau son récit autour d’une relation de travail entre deux médecins, qui mêle conflictualité et complicité (et même ici séduction). Il continue aussi d’exploiter tout le potentiel comique et dramatique qu’offrent les situations d’exercice de la médecine, tantôt cocasses, tantôt touchantes.
La nouveauté, par rapport à son précédent film, c’est que Thomas Lilti assume ici plus clairement son ambition de réaliser une comédie populaire pleine de bons sentiments. Ainsi, tous les habitants de cette petite bourgade apparaissent sympathiques et les deux médecins des champs, animés d’une humanité débordante en toute circonstance. Quand le docteur Werner fait la promesse de ne pas laisser mourir à l’hôpital un de ses patients en fin de vie, il prend le risque de le ramener chez lui sans autorisation. Si tout le monde est gentil, rien n’est donc jamais très méchant. Au point que la maltraitance qu’inflige Werner à sa consœur apparaît légère et que la maladie qui l’affecte semble bénigne. Ce trop plein de bons sentiments et de légèreté de ton fait tomber le récit et la psychologie des deux personnages dans le simplisme, au détriment du jeu sensible des acteurs. Mais surtout, Thomas Lilti déploie un comique de situation peu subtil qui réunit tous les clichés ruraux de rigueur dans une véritable carte postale du terroir : oies menaçantes, population rurale rustre et hostile au changement, maire jovial et ambitieux qui œuvre au développement de sa commune, animation country à la salle des fêtes, ou encore jeune autiste faisant office de « fou » du village.
Bon diagnostic, mauvais traitement
Cette vision de la campagne est à l’image de l’ensemble du film, reposant sur des situations et personnages archétypaux, mis au service d’un scénario et d’une mise en scène démonstratifs. Chaque péripétie est en effet le prétexte à l’évocation d’un problème médico-social, auquel doivent faire face les deux médecins : difficulté à exercer en campagne dans un contexte de pénurie du personnel soignant, gestion des personnes âgées en fin de vie, erreur de diagnostic sur les autistes, situation de maltraitance psychologique, etc. Ce volontarisme finit par étouffer le récit au point que les éléments centraux de l’intrigue – maladie du docteur Werner et son rapport avec sa remplaçante – sont relayés au second plan. Les personnages secondaires se retrouvent aussi enfermés dans des rôles de figures types, les situations et les échanges entre les différents personnages se parant d’artificialité. L’intrigue se déploie finalement en une succession (bien) rythmée de péripéties sympathiques, mais sans surprise, ni intensité dramatique. Si on sent bien que le cinéma de Thomas Lilti se trouve porté par son sujet, c’est assurément aussi ce qui en pose la limite. Tant dans son approche de la médecine de campagne, que du monde rural, le réalisateur peine à se débarrasser de justifications grossièrement sociologisantes qui emprisonnent et limitent la dimension fictionnelle de son cinéma.