Pour son premier stage d’internat, Benjamin (Vincent Lacoste) a choisi le service de médecine interne dirigé par son père (Jacques Gamblin). Le travelling qui emboîte le pas au jeune débutant dans les couloirs du sous-sol de l’hôpital marque d’emblée la référence à laquelle s’accroche le film : la série américaine hospitalière. Celle qui, depuis les premières diffusions en France, en 1996, d’Urgences, la série de Michael Crichton, jusqu’aux récente saisons de Grey’s Anatomy et de Dr House, se partage les meilleures audiences des chaînes de télé avec les séries policières. Mais Thomas Lilti, lui-même médecin généraliste depuis une dizaine d’années, inscrit aussi très vite son film dans une tradition purement française : la petite blague de la lingère qui donne au jeune homme une blouse bien trop ample maculée de « taches propres » nous dit tout de suite dans quel folklore Hippocrate souhaite s’inscrire. Coller aux pas de l’interne, d’accord, mais en se ménageant le temps de sourire, tout de même. Réaliste, OK, mais tout de même pas chiant comme un documentaire ! Il n’est pas anodin que Lilti choisisse un personnage de naïf, incarné qui plus est par le dégingandé Vincent Lacoste, pour incarner sa vision romantique et idéalisée du médecin. Certes, l’hospitalier est un héros, comme outre-Atlantique. Mais en France, il ne peut l’être que mâtiné d’un soupçon de maladresse et d’indécision digne de Pierre Richard.
C’est donc le regard néophyte et éberlué de Benjamin qui sert de prisme à la découverte de l’hôpital. Pourtant, ce point de vue radicalement étranger n’est pas utilisé pour en sonder la complexité du milieu dans lequel il est plongé, mais au contraire, pour empêcher au spectateur de se sentir seul dans son ignorance. Ainsi, il n’est point question de l’assommer sous des termes spécifiques qu’il ne comprendrait pas : on lui traduit tout. Il ne s’agit pas non plus de lui présenter des situations spécifiques au milieu hospitalier : toutes sont simplifiées et réduites au point de pouvoir concerner n’importe quel domaine.
L’hôpital pour les nuls
Des discordes aux conflits lourds, la vie du service n’est faite que d’affrontements, portés par une galerie de personnages secondaires tous plus pittoresques les uns que les autres. Caricaturaux, ils peuvent ainsi encore mieux s’opposer dos à dos. L’infirmier glandeur toujours en grève (Philippe Rebbot) contre l’infirmière grande gueule qui a toujours le mot pour rire (Carole Frank) ; la responsable retorse (Marianne Denicourt) contre le chef de service sévère mais juste (Jacques Gamblin) ; le médecin étranger humaniste (Reda Kateb) qui perçoit sa fonction comme un sacerdoce contre celui de réanimation qui cherche dans son métier une montée d’adrénaline, et enfin, l’interne en médecine interne contre l’interne de réa.
Incarnés par Vincent Lacoste et Félix Moati, ces deux derniers évoquent, lors d’une nuit de garde, leurs choix respectifs. L’un fait valoir que sa fonction lui permet de sauver des vies, tandis que l’autre met en avant le souci des patients, et la psychologie nécessaire pour exercer au mieux la médecine générale. « C’est toi, la psychologie », rétorque l’un à l’autre en guise d’insulte pour conclure leur échange. Cette vanne anecdotique porte pourtant bien en elle tout le problème du film, si emblématique d’un cinéma français faisant primer le mécanisme d’un scénario joué d’avance sur la mise en scène, et qui oppose psychologie et action sans même imaginer que le cinéma puisse se jouer aussi ailleurs qu’entre ces deux pôles. Avec son récit ultra cadré, le film s’intéresse bien plus à la psychologie de ses personnages qu’à l’hôpital. S’il est question de son manque de moyens ou d’erreur médicale, c’est avant tout pour créer des péripéties. L’échec de la ponction lombaire à laquelle s’essaie Benjamin lors de son premier jour n’est montré que pour faire comprendre la faillite du petit nouveau, et mesurer ensuite ses progrès, lorsqu’il réalisera parfaitement ce geste technique.
Derrière ce scénario verrouillé par un développement quadrillé et par un énième récit d’apprentissage, le réel de la situation hospitalière, dont le cinéaste est pourtant familier, ne peut que faire office de toile de fond, lorsqu’il n’est pas sujet à des clins d’œil amusés destinés à faire « vrai » (l’ambiance de vestiaire du réfectoire des internes) ou à créer du suspense ou de l’émotion.Réduisant les relations entre médecins à des combats de coqs, le film ne parvient qu’à offrir une conception binaire et simpliste des conflits, vision populiste de son sujet (comment imaginer qu’un directeur d’hôpital soit réellement un transfuge d’Amazon ?). Hippocrate n’est pas un film sur l’hôpital. Hippocrate n’est pas un Dr House à la française. C’est simplement un film moyen de plus.