Réalisateur de Gummo tenté un temps par le Dogme 95 de Lars von Trier, Harmony Korine est surtout, pour le public cinéphile, un des scénaristes de Larry Clark – sur Kids et Ken Park. Il a choisi ici de s’attaquer aux sosies de célébrités passées et présentes: tout comme le thème du fan, celui du sosie revient immanquablement à décrire une quête d’identité, un combat entre mimétisme et recréation personnelle… le problème est que jamais les sosies de Korine ne sont véritablement incarnés, tout comme son montage labyrinthique devient, à force d’égarements, aussi incompréhensible que ridicule.
Une mini-moto ronronne au ralenti, tirant un singe dans les airs ; sans transition, un cortège de bonnes soeurs nourrit des singes lors d’une procession de baptême… une de ces vierges à l’enfant semble nous dire une vérité de l’au-delà – que l’on appelle plus communément voix-off: « J’ai toujours rêvé d’être quelqu’un d’autre (…) être moins ordinaire. » Voilà qui est établi: d’une part, l’homme descend du singe – seul lien logique entre les différentes scènes d’ouverture –, et d’autre part, Harmony Korine va choisir délibérément l’illisible et l’incompréhensible comme trame narrative. Reprenant sans cesse l’idée de la falsification, Korine réinvente les villes dans lesquelles sa caméra passe, et recrée des clichés spatiaux où ses pantins – ses singes? – se meuvent sans beaucoup d’articulation dramatique donc. Tout commence donc entre une forêt tropicale où l’on baptise à gogo, une piste de kart, Paris et l’Écosse. Trop peut-être? C’est dans la multiplication de pistes que Korine nous perd, et se perd également: il garde pourtant un centre, son histoire de sosies, qui n’est jamais assez intéressante pour garder le spectateur un tantinet dérouté et ennuyé, en éveil.
Michael Jackson habite donc dans un studio parisien et s’entraîne à la chorégraphie de Thriller dans les maisons de retraite. Il rencontre Marilyn Monroe qui lui propose alors un petit tour au pays des sosies: un château en Écosse qui, loin d’héberger le Loch Ness, rassemble une tripotée de clowns tristes se prenant pour Jean-Paul II, Elisabeth, Chaplin – par Denis Lavant, qui aurait dû opter pour Popeck –, Madonna ou Lincoln… Korine a l’intelligence de montrer qu’un sosie n’est pas tellement un être ressemblant, mais plutôt un être voulant ressembler à son idole, ou à l’idole qui n’a pas été sosifiée de trop. À la manière d’un singe, le sosie prend l’allure, la parure, les tics de son personnage… mais que nous montre-t-on exactement ? Quelques êtres désespérés sans excès, un château ni angoissant ni édénique, une histoire sans parti pris réel. Si Korine veut perturber par sa construction, notamment en revenant de temps à autre à la forêt tropicale, à un délire mystique, il ne distille aucune folie dans sa trame principale, et dans ses sosies. Il ne semble pas détester ces losers trop mal dans leurs peaux pour tomber le costume, mais ne respecte pas assez cette apparence pour la rendre digne d’un long métrage de deux heures.
Mister Lonely est une suite de scènes qui ne vivent que par leurs références cinématographiques, musicales et historiques, donc par un sous-titre qui ne met jamais en valeur la tragédie. La réflexion sur l’identité de ces êtres reconstitués est d’ailleurs proche du néant: la personnalité de chacun n’est jamais réellement déroutante – l’acmé sera comprise rapidement par ceux qui connaissent les vies de Marilyn et consorts –, et n’entre ainsi jamais en connexion avec le flou de Korine. Si le monde est une scène, pourquoi ne pas l’agencer totalement en tant que telle? Il ne suffit pas de vouloir provoquer pour être provoquant, ou de mimer l’originalité pour l’être aussi. Comme les personnages ne sont que des reproductions un peu fades, les acteurs prennent la même pente, déstabilisés par la médiocrité de ces sosies qui n’ont de commun avec leur modèle que quelques simulacres de maquillage.