Il y a bientôt dix ans, Harmony Korine tentait de sublimer la débauche fluorescente d’un groupe de spring breakers en pèlerinage sur les plages de Floride. Jusqu’alors intéressé par les marginaux, Korine observait pour la première fois ce « milieu » pour mieux en exacerber avec outrance la superficialité, en reprenant les contours d’une imagerie bien connue, celle des clips MTV et des soirées EDM. De ce piratage un brin volontariste (déplacer une esthétique mainstream, ainsi que des égéries Disney, dans une oeuvre réputée pour exhiber l’envers sombre et malade de l’american way of life), The Beach Bum reprend le cadre géographique et la formule (par exemple son casting, avec Zac Efron et Snoop Dogg, après Vanessa Hudgens et Gucci Mane dans Spring Breakers) mais en modifie légèrement l’approche : l’auteur fasciné par les aberrations bling-bling du contemporain n’est plus en dehors du milieu observé, derrière la caméra, mais fait lui-même partie de ce monde aux couleurs criardes et saturées. L’intrigue de The Beach Bum tourne en effet autour de Moondog (Matthew McConaughey), un poète relativement connu mais rattrapé par son style de vie de stoner déviant, dont l’errance de demeures fastueuses en yacht luxueux à Miami ménage, entre chaque étape, une embardée du côté de la rue et des laissés-pour-compte.
De manière assez évidente, on discerne là une forme d’autoportrait en biais de Korine, transfuge passé par différentes strates (de la réalisation de Gummo à un clip pour Rihanna) et auteur estimé qui ne cesse de se dérober au succès qu’on lui promet. Pour Moondog, il est par exemple question de passer une soirée dans une villa avec vue sur la mer, puis d’être mis sous les verrous le lendemain ; pour Korine, il s’agit d’essuyer l’échec de Mister Lonely pour mieux rebondir avec le succès commercial de Spring Breakers, avant de voir ensuite son nouveau film ne même plus traverser l’Atlantique (sorti il y a deux ans aux États-Unis, il nous arrive en France via une diffusion télé, après une sortie DVD début juillet). D’où que The Beach Bum ait pour moteur narratif une reconquête financière qui aboutit, à la toute fin, à la dilapidation de la somme récupérée par Moondog. Ce dernier avait auparavant annoncé la couleur : « I got to go low to get high », un slogan qui synthétise à la fois le projet réflexif du film (montrer les réussites et les échecs d’un artiste insaisissable), son imagerie (filmer clochards et millionnaires de la même manière), et, plus prosaïquement, sa dynamique burlesque (capter l’érection et la décrépitude d’un corps aberrant et clownesque).
Le chien de Venice Beach
The Beach Bum n’a malheureusement pas grand chose à offrir de plus qu’un parallèle entre son auteur et sa figure principale, tant il se révèle peu abouti du côté de la comédie corporelle (peut-être parce que celle-ci implique de véritablement construire des scènes – ce que le film évite, reprenant le montage musical et éthéré de Spring Breakers). Moondog est certes, sur le papier, une sorte de Loup de Wall Street détraqué (Jonah Hill apparaît d’ailleurs dans le film à ses côtés), mais il n’a rien de la bestialité d’un Jordan Belfort. Si McConaughey convainc parfois dans son exubérance, notamment lors des scènes où il côtoie marginaux et autres skateurs alcooliques, ce n’est qu’à travers des gags assez brefs et immédiats, par exemple lorsqu’il tombe à la renverse après avoir marché sur une planche de skate. En règle générale, l’acteur se complaît plutôt dans une nonchalance distanciée, traînant du pied pour déclamer ses répliques et relativisant par là l’idiotie de son personnage (de fait, Moondog semble avoir parfaitement conscience de sa bêtise). Dans son refus de jouer le jeu se reflète celui d’un cinéaste qui nie les conventions et le crie haut et fort, par l’entremise de son double à l’écran, livrant une chronique ni drôle ni vraiment émouvante, mais tout à fait limpide sur sa propre vanité. On pourra toutefois retenir, comme dans Spring Breakers, quelques belles séquences psychédéliques, parmi lesquelles celles où le ciel et la mer reprennent les couleurs, jaune et bleu, de la chemise hawaïenne de Moondog, nous rappelant que tout cela n’est, au fond, qu’un simple fantasme acidulé. De quoi se demander peut-être si Harmony Korine, au contraire de son mentor Larry Clark, dont le cinéma n’a jamais fait le grand saut dans la plasticité phosphorescente du contemporain, ne serait pas plutôt un styliste relativement talentueux que le grand auteur rebelle et transgressif qu’il s’imagine être.