De la pièce originale (Hôtel Europe de Bernard-Henri Levy), le réalisateur Danis Tanović n’a quasiment rien gardé — mis à part, selon ses propres mots, « l’esprit » du texte et l’idée de départ, celle d’un homme répétant un discours dans sa chambre d’hôtel. Si l’on accepte d’un œil bienveillant cette prise de distance avec une pièce aux enjeux politico-moraux douteux (le parti-pris de BHL pour la cause bosnienne), les ajouts scénaristiques ressemblent bien plus à un habillage superficiel pour le format cinématographique.
Deux récits parallèles sont apposés. Sur le toit de l’hôtel, un reportage est réalisé pour le centenaire de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo. Exécuté par le jeune Serbe Gavrilo Princip, l’événement est l’un des symboles de la fracture géopolitique de la région. Tandis que la journaliste s’entretient avec différentes personnalités à propos des tensions entre la Bosnie et la Serbie, les employés de l’hôtel se préparent à une grève, profitant de la présence de toute la délégation de l’ONU pour le dîner afin de frapper un coup médiatique.
Ambitions politiques inadaptées
De ce fait, le film est pour le moins discordant, dans ses tons et ses enjeux, puisque les disputes syndicales (la grève) se mêlent à des revendications triviales purement matérialistes et à un pseudo-débat sur l’identité nationale de la Bosnie. Une dispute qui se résume à un vulgaire pugilat verbal télévisuel, dont le vainqueur serait celui qui crie le plus fort ses arguments. Rien de plus que des bribes de réflexion toutes prêtes et platement filmées.
La farce annoncée (ou la tragédie, c’est selon, puisqu’ici les registres s’emmêlent de manière un peu contradictoire) ne décolle jamais, trop engluée dans ses revendications politico-sociales pour dépasser l’esthétique du vaudeville théâtral. Une impression visuelle renforcée par les choix du réalisateur, qui se contente d’ajouter du mouvement (comprendre des plans-séquences en travelling) pour s’éloigner autant que possible de l’inertie du monologue de la pièce initiale et s’illusionner d’une « plus-value » cinématographique.
Le débat reste hélas terriblement terre-à-terre, entravé par un besoin de se rattacher à du concret, notamment dans l’utilisation de la grève comme illustration des discordes inter-générationnelles, caractéristiques selon le cinéaste, de la situation en Bosnie : la manifestation est menée par Hatidza, alors que sa propre fille, également employée à l’hôtel, s’y oppose.
Flux divergents
Malgré l’ambition de participer au débat national, le cinéaste semble pourtant bien plus intéressé par les chassés-croisés de l’hôtel. Occupé à concocter des allers et venues en plans-séquences, et à transformer les couloirs de l’établissement en labyrinthe, il ne pose pas vraiment la question qui animait le projet : le passé et le devenir de la Bosnie-Herzégovine dans sa relation houleuse avec le peuple serbe.
Le film aurait alors pu s’appuyer jusqu’au bout sur l’obstination aveugle de ses protagonistes — la grève coûte que coûte, malgré la situation critique de l’hôtel — pour affirmer son combat contre l’inertie politique, et ainsi assumer pleinement sa prétention réthorique. Au lieu de cela, la situation reste au point mort, et la déflagration attendue finit par se produire, ne laissant place qu’à un spectacle désolant de pessimisme et de fatalisme.