Le Colombien Rodrigo García a remporté, cette année, le Grand Prix du festival de Deauville avec son dernier long métrage, Mother and Child. Son film soulève avec classicisme et délicatesse des questionnements maternels à la fois éternels et contemporains.
Comme François Truffaut, le réalisateur colombien Rodrigo García aime filmer les femmes. D’un côté, Catherine Deneuve, Fanny Ardant, Isabelle Adjani, Nathalie Baye, Jeanne Moreau, Claude Jade, Jacqueline Bisset, de l’autre, Glenn Glose, Cameron Diaz, Calista Flockhart, Holly Hunter, Radha Mitchell, Alicia Witt et maintenant Naomi Watts et Annette Bening. Après Ce que je sais d’elle… d’un simple regard et Ten Tiny Love Stories, Rodrigo Garcia présente son dernier long métrage Mother and Child, une chronique sur les relations mères-filles, un sujet récurrent dans sa filmographie. Le plupart de ses histoires mélangent les récits et nous rappellent que Rodrigo García est aussi le fils du prix Nobel de littérature, Gabriel García Marquez. Son film est aujourd’hui produit par un trio mexicain influent, Alejandro González Iñárritu, Alfonso Cuarón, Guillermo del Toro (les trois ont d’ailleurs monté une boite de production ensemble, Cha Cha Cha, à l’origine de Rudo y Cursi).
Avec Naomi Watts, Annette Bening (célèbre Carolyn Burnham dans American Beauty) et Samuel L. Jackson (il troque ici ses rôles de flics ou tueurs en série pour devenir un père et un amant sensible et attachant), le réalisateur réunit dans son dernier long métrage un casting alléchant et offre à ces acteurs l’occasion d’interpréter un rôle étranger à leurs carrières respectives. Mother and Child est une histoire de femmes, de mères et de filles. Si, de manière picturale, la peinture a su rendre éternelle l’image maternelle avec des procédés classiques ou modernes (Pablo Picasso, Gustav Klimt ou plus actuel, Ron Mueck), la question de la maternité, du rapport qu’entretient un enfant avec sa mère est un thème traditionnel abordé ici de manière à la fois conventionnelle et contemporaine. Mother and Child est un mélange des deux genres : une mise en scène classique, le format scope nous renvoie à l’utilisation cosmogonique du rapport entre le cadre et les personnages (proche du western américain), et des situations à la fois simples et complexes (la maternité hier et aujourd’hui). Rodrigo García choisit de se concentrer sur le point de vue de trois femmes. L’une, tombée enceinte à 14 ans, a placé son enfant à l’adoption ; l’autre est cet enfant ; la troisième, stérile, cherche à adopter.
Au départ, il y a un abandon : l’enfant de Karen (la remarquable Annette Bening). Cette thérapeute, la quarantaine, vit seule avec sa mère, souffrante. Entre elles, il y a des non-dits, un rapport tendu, des reproches constants. Avec ses vieux gilets, son air de vieille fille abattue, Karen ressemble à sa mère tandis que sa fille Élisabeth (Naomi Watts) est tout le contraire : une belle et réputée avocate, libre et entreprenante. Elle séduit, sans scrupules, aussi bien son patron (Samuel L. Jackson) que son voisin (époux d’une jeune femme parfaite et enceinte). Seul point en commun entre ces deux femmes : la misanthropie. Quand un homme s’approche de Karen, elle le renvoie, hystérique ; quand ses voisins l’interpellent, Élisabeth se montre peu loquace. En parallèle de ces deux histoires, une femme veut que son couple forme un trio en adoptant l’enfant d’une jeune mère porteuse ce qui donne lieu à des dialogues troublants sur le désir de maternité, l’adoption et la paternité. Rodrigo García filme ses personnages souvent seuls, en gros plan ou dans un champ-contrechamp inhabituel (l’espace du dialogue est décalé) comme pour mieux souligner l’impossibilité de toutes formes de communication. Le décor, fade, accable davantage leurs douleurs muettes.
Comme chez Iñárritu, le montage alterné croise les destins sauf que, dans la narration, les liens entre les personnages se dessinent progressivement, sans être être forcés ou évidents comme dans les films du mexicain. Il n’y a pas vraiment de déterminisme dans ce film ni de mères idéales : l’histoire, par la lenteur de son rythme et de ses discussions, laisse le temps aux vrais sentiments de naître sans les imposer avec véhémence. Si le point de vue du réalisateur se concentre sur Elizabeth, Karen ou Lucy, autour d’elles, il y a d’autres mères, aimantes ou distantes avec leurs progénitures. Par son classicisme, García permet une rentrée progressive des troubles maternelles.
Un élément rapproche les trois points de vue : la religion. Une nonne, Sœur Joanne (son constant sourire agace) reçoit successivement dans son bureau nos trois héroïnes pour des raisons différentes. Bien sûr, elle a presque réponse à tout mais nous sommes bien loin d’un quelconque évangelisme (depuis quand les catholiques soutiennent-ils les mères-porteuses ?). La religion a sa place comme les athées ou les croyants dans ce film où, soulignons-le, toutes les nationalités et les couleurs se mélangent. Est-ce parce que Mother and Child, produit par des mexicains, nous offre une autre vision, plus cosmopolite, de l’Amérique ? Rodrigo García soulève des tabous (autour de l’instinct maternel) et réussit à susciter des questionnements, une émotion vraie et sincère à travers le portrait tragique de femmes victimes de maux ordinaires.