Les relations qu’entretiennent entre elles les courtes histoires qui composent Revolución ne sautent pas immédiatement aux yeux. C’est que le producteur mexicain Pablo Cruz, à l’initiative de ce collage, ne semble pas avoir donné de contraintes très strictes aux dix réalisateurs qu’il a convaincus de participer à son projet. Le résultat est forcément disparate, et peine à établir des parallèles cinématographiquement pertinents entre l’état actuel du pays et la révolution dont il est issu. Peu passionnant malgré son sujet, l’ensemble a tout de même le mérite de ne pas tomber dans la pompe commémorative. Au contraire, c’est une certaine résignation qui transparaît des segments les plus saillants.
Ces dernières années, les « films à sketches » – ces assemblages, autour d’un même thème, de courts métrages hétéroclites signés de réalisateurs plus ou moins prestigieux – se sont toujours montrés inégaux, décevants, inférieurs à la somme de leurs parties. Revolución ne faillit hélas pas à cette triste règle. Si, du point de vue strictement formel, les auteurs déjà internationalement reconnus (Fernando Eimbcke, Amat Escalante, Carlos Reygadas et Rodrigo Plá, voire Rodrigo García) s’en sortent relativement bien, les autres (et notamment les acteurs qui s’essaient à la réalisation, Diego Luna et Gael García Bernal) proposent des contributions très plates, oubliées sitôt vues : il ne faut pas s’attendre à des révélations avec ce Revolución. Le meilleur peinant à rivaliser avec le pire, c’est finalement l’anecdotique qui domine.
Sur le fond, le film se montre également assez peu convaincant, la plupart de ses participants semblant s’être donné le mot pour contourner le thème censé les fédérer – soit l’héritage de la Révolution mexicaine, dont on célébrait en 2010 le centième anniversaire. Sur les dix segments, pas moins de quatre (le 1er, le 3ème, le 7ème et le 9ème) sont totalement hors sujet. D’autres sont tellement elliptiques qu’on ne sait trop ce que leurs réalisateurs ont voulu dire. Quant aux rares courts métrages qui traitent frontalement la question, ils témoignent, à une notable exception près (on y reviendra), d’une certaine lourdeur, voire d’une confondante naïveté dans leur volonté de montrer que rien n’a vraiment changé au sud du Rio Grande.
Il eût peut-être fallu, pour former un tout cohérent, que la production sollicite des artistes au talent comparable. Ou, pour compenser la disparité des inspirations individuelles, qu’elle coordonne leurs efforts pour permettre aux œuvres de dialoguer entre elles et de se confronter les unes aux autres plutôt que de simplement s’enchaîner sans logique ni harmonie. En l’état, Revolución semble privé de colonne vertébrale, et les voix singulières des cinéastes se perdent dans une compilation dont on peine à percevoir la justification.
Les enjeux étaient pourtant d’importance : l’imaginaire cinématographique de la Révolution mexicaine ayant essentiellement été forgé par des réalisateurs étrangers – américains (Brooks, Peckinpah, Kazan…), voire italiens (Sollima, Corbucci et bien sûr Leone) – cette œuvre collective aurait pu représenter pour tout un peuple l’occasion de se réapproprier son histoire par l’intermédiaire de ses propres artistes. D’autant que bien des parallèles pertinents peuvent être dressés entre le Mexique de 1910 et celui de 2010.
On en vient à penser que l’absence de point de vue dont témoigne une bonne moitié des courts métrages est révélatrice d’un certain désintérêt pour toutes ces questions politiques et historiques. Du passé, les cinéastes mexicains semblent avoir décidé de faire table rase… Par moments, Revolución développe même une vision paradoxalement contre-révolutionnaire, comme dans le segment signé par Carlos Reygadas (le 5ème) : dans ce récit (par ailleurs formellement puissant) d’une fête bucolique qui dégénère, on perçoit une profonde méfiance envers la foule, montrée comme une meute mue par ses seuls instincts de destruction. De manière générale, la vision des dix cinéastes semble singulièrement désenchantée : cent ans après la Révolution mexicaine, certains mécanismes d’exploitation sont toujours en place (segment 6), et tout le monde a oublié ces peones qui jadis prirent les armes pour s’en libérer (10). La nostalgie qui parfois entoure cet événement fondateur est sympathique mais semble bien inoffensive (2), tant il a été vidé de sa substance et folklorisé (8).
Ce huitième segment, que l’on doit à Rodrigo Plá, est le plus révélateur de ce fatalisme généralisé. C’est aussi le meilleur du lot, qui vient confirmer tout le bien que l’on pense de son auteur depuis La Zona, propriété privée et Desierto Adentro. Plá met ici en scène, de manière à la fois grinçante et touchante, la récupération des symboles révolutionnaires par une classe politique cynique, à travers l’histoire du petit-fils (fictif ?) de Pancho Villa, instrumentalisé par un simili-Berlusconi. Dans les yeux de ce beau vieillard à la respiration pesante, douloureusement posés sur la vulgarité et l’inanité de ce qui l’entoure, passent toute la tristesse et la nostalgie du monde. Rien que pour ces deux regards – celui d’un beau personnage, celui d’un bon cinéaste –, on sait tout de même gré à ce Revolución d’exister.