Avec son casting de stars glamours, son concept lynchien en diable (on peut y voir des réminiscences de Lost Highway) et son exposition cannoise, Ne te retourne pas possède des attributs indéniablement séduisants. Deuxième film réalisé et co-écrit par Marina de Van (co-scénariste de plusieurs Ozon et du dernier Bonitzer, Je pense à vous), Ne te retourne pas arrive sept ans après le très dérangeant Dans ma peau, plongée terrifiante dans l’esprit malade d’une jeune femme qui, à la suite d’un accident, malmène sa chair meurtrie jusqu’à finir par s’en nourrir. Mal-aimé, ce premier long aura pourtant durablement marqué ceux qui se seront laissés embarquer, de gré ou de force. Son retour derrière la caméra ne laissait pas d’intriguer, surtout avec un sujet pareil : pour qui n’aime rien tant que voir deux stars malmener leur image et changer d’univers, un tel projet a de quoi susciter une certaine curiosité.
Comme souvent, la déception est à la hauteur de l’attente : le cirque cruel de Cannes n’aura ainsi pas épargné le film, dont les échos moqueurs ont fait craindre le pire. Farouchement défendu par ses deux interprètes, Ne te retourne pas est, en effet, un objet étrange et peu aimable, ampoulé et volontairement ridicule, mais pas sans qualités et certainement plus intéressant que nombre de petites productions sympathiques mais sans risques encensées par la critique. L’histoire ? Jeanne (Sophie Marceau), écrivaine heureuse, mariée à un beau gosse et mère de deux enfants, perd progressivement la raison : elle ne reconnaît plus son appartement, voit sur des photos de famille des visages qu’elle ne reconnaît pas et observe des mutations étranges qui modifient les traits de son entourage. Personne ne la croit, personne ne s’aperçoit de rien. Quand son propre visage commence à se modifier, prenant peu à peu les contours de celui d’une autre (Monica Bellucci), la jeune femme se réfugie chez son étrange mère, avant d’entreprendre, totalement transformée, un voyage en Italie sur les traces d’un passé passablement compliqué.
C’est n’importe quoi, mais Marina de Van prend tout cela très au sérieux, créant ainsi une ambiance terriblement anxiogène. Le résultat (dans la première partie du film, du moins) évoque un cinéma d’épouvante rarement vu dans les productions françaises, allant des effets baroques et limite parodiques de Dario Argento aux délires schizophrènes de David Lynch, en passant par la même fascination que David Cronenberg pour les corps en putréfaction ou en cours de métamorphose. Le résultat, pourtant, n’appartient qu’à elle : Marina De Van signe une suite logique de Dans ma peau, poursuivant son éprouvant travail sur la folie et la perte de repères, le dégoût de soi et le désir de confronter crûment le corps et le mental. Bien entendu, l’ensemble est très artificiel et l’on pourra légitimement s’agacer du jeu atrocement mauvais de certains comédiens : le « premier » mari, notamment, donne envie de se taper la tête contre les murs ; mais s’il sonne faux, n’est-ce pas tout simplement parce qu’il n’existe pas vraiment, qu’il est en quelque sorte un fantasme de l’héroïne ?
Dans la salle (parisienne, pas cannoise), les ricanements ont fusé lors de la projection : scénario grotesque, effets spéciaux trop voyants, climax raté et déceptif. On aurait effectivement pu se passer d’une résolution aussi plan-plan et bêtement psychanalytique du trauma de Jeanne, le film perdant ainsi de son pouvoir de fascination. Surtout, on a connu Marina De Van plus inspirée quant à l’écriture des dialogues : moins que l’intrigue rocambolesque, ce sont eux qui tirent le film vers le bas, en dévoilent les coutures et les incohérences. Beaucoup plus que le visage déformé et hybride de Marceau se transformant en Bellucci : l’effet est techniquement imparfait mais n’en est pas moins fascinant, charcutant violemment toute vanité des actrices pour jeter en pâture un monstre de cinéma d’autant plus effrayant qu’il ne repose sur rien de plus que le simple morphing de deux visages connus, et désirables. Sophie Marceau, étonnante, réellement touchante lorsqu’elle joue la panique de celle qui se sent perdre pied, intrigue plus que Monica Bellucci mais le duo, exploité de cette façon si rare dans le cinéma français, épate. Ce qui est déjà bien suffisant pour faire de Ne te retourne pas une œuvre qui mérite bien plus qu’un mépris cannois assez désolant.