En racontant une partie de la vie de James Barrie, auteur du célèbre Peter Pan, Marc Forster se place à mi-chemin entre reconstitution historique et conte pour enfants, tissant des liens entre réalité et imaginaire, qui, s’ils restent pour partie convenus et prévisibles, n’en sont pas moins porteurs d’une force d’évocation qui amène le spectateur à réfléchir sur son propre regard d’enfant sur le monde.
On peut certes taxer Neverland de film grand public, dont le pathos et la plongée vers le monde imaginaire créé par J. Barrie, alias Johnny Depp, ne sont qu’autant de moyens faciles de satisfaire les goûts du plus grand nombre. Cependant le film ne se réduit pas à ces aspects conventionnels, et ce en raison de la fraîcheur qu’apporte le sens même du récit. En effet, si l’auteur dramatique J. Barrie fuit en quelque sorte les échecs de ses pièces en s’évadant dans le jeu et l’imagination, il parvient paradoxalement au succès et à la reconnaissance sociale, bref à l’âge adulte, en donnant toute l’ampleur qu’il mérite au monde imaginaire dit Neverland.
Barrie crée celui-ci pour amuser quatre garçons avec lesquels il s’est pris d’amitié. La relation particulière de complicité qui se noue entre l’adulte enfant Johnny Depp et l’enfant adulte Peter est véritablement au centre du film, relation qui apparaît comme le seul rayon de soleil dans la dure existence de cette famille. Or, c’est justement là que se noue la véritable portée de Neverland, dans l’opposition constante entre normes sociales et bonheur, ce dernier ne semblant pouvoir être possible que dans l’innocence de l’enfance. À ce titre, le petit Peter reproche à Barrie son aveuglement et l’hypocrisie qu’il peut y avoir à croire que le monde est beau, alors qu’il n’est que tristesse.
Le rejet d’une telle fuite interroge finalement la notion même de croyance, mais aussi l’ensemble des échappatoires que nous inventons pour nous extirper des inquiétudes et malheurs quotidiens. Comment trouver le juste équilibre ? demande Barrie, tiraillé qu’il est entre une épouse qu’il délaisse, les codes de la bonne société, les contraintes d’argent de son « producteur », incarné par Dustin Hoffmann (clin d’œil à l’acteur qui prêtait ses traits au Capitaine Crochet dans Hook), et la joie simple de vivre dans l’instant ?
À cet égard, la performance d’acteur de Johnny Depp participe beaucoup à la réussite du film, par l’enthousiasme et le faux sérieux qu’il garde dans les situations les plus burlesques. Son personnage semble mener sa vie comme une permanente représentation théâtrale, à l’instar de la première scène de Neverland, qui le montre caché derrière les rideaux, espionnant la salle, se positionnant ainsi immédiatement du côté de la fiction, le public symbolisant le réel et ses désillusions. Il est à regretter toutefois que les intrusions du virtuel dans le cours de l’histoire soient si bien balisées et attendues, et ne se déploient pas davantage, jusqu’à inonder, pourquoi pas, l’ensemble des scènes ? De même, le parallèle final entre la mort et l’accession au pays de Nulle Part paraît un peu trop facile et conventionnelle. Le réalisateur tente en ce sens de renouveler sans y parvenir l’expression d’une certaine religiosité, dont Neverland, image du paradis perdu, représente la figure indéniable.
Film académique et plaisant, Neverland n’illustre donc pas une réflexion poussée sur le processus même de création artistique. L’intérêt réside davantage dans l’incarnation de l’éternel enfant que représente Barrie, transposition adulte de son personnage Peter Pan, qui, s’il n’est que très éloigné du James Barrie historique, petit et difforme, peu introduit dans le milieu mondain, n’en porte pas moins l’esprit, au-delà des convenances d’une société rigide et des interdits familiaux, pour mieux libérer écriture et plaisir. Quand la pensée s’évade, on aimerait que l’image la suive… À nous d’en poursuivre le fil.