Sam Foster (Ewan McGregor) est très embêté. Pourtant, il n’y a pas de quoi: sa fiancée est une bien mignonne artiste (en plus, elle est jouée par Naomi Watts, ce qui ne gâche rien), son appartement en plein cœur de Manhattan a de quoi faire fantasmer les rédacteurs d’Elle Déco et la clinique où il officie en tant que psy ressemble plus à un musée d’art contemporain qu’à un hôpital psychiatrique. Non, la raison pour laquelle Sam se fait du souci est d’ordre professionnel: une collègue partie en congé maladie lui a refilé un patient de 21 ans très torturé (normal, il est étudiant en école d’art et il a les cheveux gras) qui entend des voix et annonce à Sam qu’il va se suicider dans une semaine, à minuit. Conscience professionnelle oblige, Sam va tout faire pour l’en empêcher. Et va découvrir peu à peu qu’au contact du jeune homme, le concept de réalité devient tout relatif et très altérable.
Ce qui sur le papier ressemble à un de ces thrillers psychologico-surnaturels qui remplissent les salles pendant l’été, et que l’on regarde d’un œil distrait quelques années plus tard lors d’une rediffusion télé, se veut bien plus que ça. D’abord, Stay est réalisé par Marc Forster, qui dès son troisième film (À l’ombre de la haine, 2001) a réussi l’exploit de mener Halle Berry à l’Oscar de la meilleure actrice. Passé au statut de «metteur en scène qui compte» avec le pompier et pompeux Neverland en 2004, Forster a probablement vu dans le scénario de David Benioff (auteur de La 25e Heure de Spike Lee) un projet ambitieux flirtant de loin en loin avec les univers de Lynch ou Cronenberg tout en étant suffisamment accessible pour le spectateur lambda.
Le problème, c’est que l’on ne comprend rien à Stay et, surtout, que l’on se désintéresse très rapidement du sort des protagonistes. Quand David Lynch fait Lost Highway, son art de la mise en scène et son utilisation d’une symbolique travaillée depuis de nombreux films font que le plaisir réside, entre autres, dans l’abandon à un univers mental résolument complexe, dont on ne détient que très peu de clés mais dans lequel on se perd avec effroi et délice. Marc Forster, lui, semble s’appliquer à démontrer à chaque nouveau projet qu’il n’a aucun style; difficile de trouver des points communs entre ses trois derniers films, si ce n’est une tendance à adapter sa mise en scène à l’histoire qu’il raconte: langoureuse pour À l’ombre de la haine, académique pour Neverland et déstructurée pour ce Stay, dont tous les plans sont cadrés de travers pour que l’on comprenne bien que quelque chose ne va pas dans la tête du héros. Avec ça, difficile de faire dans le suggestif.
C’est fort dommage car, lorsque le dénouement arrive, la poésie fantastique qui se dégage de cette bien triste histoire fait regretter qu’un réalisateur un peu plus capable ne s’y soit pas attelé. D’autant plus que Forster, qui jusqu’alors s’était avéré un directeur d’acteur plutôt sensible, ne semble pas trop quoi faire de ses comédiens, peu aidés par des rôles caricaturaux: d’Ewan McGregor, complètement largué, à Naomi Watts, assez tête à claques dans le personnage accessoire de la petite amie, tout le monde semble se demander ce qu’il fait là. Exactement comme le spectateur.