Avant de signer ce premier long métrage, le fils de Costa-Gavras s’est fait un nom avec deux clips dont la violence, la bêtise et la gratuité ont suffi à lui valoir une petite aura de provocateur. Dans « Stress » (pour le groupe Justice), un groupe de jeunes de banlieue tout droit sortis des fantasmes d’un ministre de l’Intérieur sarkozyste semait la terreur dans les rues en agressant des passants sans raison ; dans « Born Free » (pour la chanteuse M.I.A.), des roux étaient raflés au petit matin par la police pour être exterminés avec force explosions et geysers de sang filmés au ralenti. Notre jour viendra ressemble à une version longue de ce dernier clip, dont il reprend la métaphore (bien lourde) sur le racisme et l’intolérance, et lui adjoint une prétention pseudo-poétique grotesque et méprisable.
Rémy, un grand dadais sensible mais un peu limité, est en proie aux brimades continuelles de ses proches. Un soir, il se révolte, frappe la harpie caricaturale qui lui sert de mère (« J’ai adoré ça », confiera-t-il plus tard), et s’enfuit. Pris en stop par le flamboyant Patrick, un psy dépressif et autodestructeur, il tombe rapidement sous sa coupe. Leur dérive sur les routes du nord de la France est ponctuée par une série de confrontations de plus en plus violentes avec les représentants d’une société dont ils se sentent rejetés – parce que différents, parce qu’incompris, parce que… roux.
L’exploitation du sort des laissés-pour-compte à des fins de provocation gratuite est la marque de fabrique du collectif « Kourtrajmé », cofondé par Romain Gavras et Kim Chapiron (le réalisateur de Sheitan et de Dog Pound). Ces jeunes réalisateurs occupent un créneau médiatiquement porteur, que leur a cédé Mathieu Kassovitz depuis qu’il est parti se casser les dents à Hollywood : le malaise des « jeunes des cités », dont la révolte apolitique est complaisamment caressée dans le sens du poil avec une démagogie qui les apparente plus à des disciples de Luc Besson qu’à ceux d’un Stanley Kubrick. On sent bien, pourtant, qu’ils adoreraient signer des films comme Orange mécanique (ou, à la rigueur, comme Les Valseuses) ; mais hélas pour eux, ils sont nés avec une bonne quarantaine d’années de retard.
En effet, comment choquer le bourgeois à l’heure où toutes les valeurs ou presque ont déjà été transgressées, et où la critique, quasi unanime, se pâme devant le « jouissif » spectacle hyperréaliste (et en trois dimensions, s’il vous plaît) de centaines de jeunes gens se faisant dévorer vivants par des poissons carnivores ? Pour avoir des chances de déclencher la mini-polémique qui assurera le succès de son film, Romain Gavras est donc contraint d’en rajouter dans le glauque, le mesquin, le sordide, avec un systématisme qui peut virer au comique involontaire. Ainsi, dans cet univers, si l’on entend les bribes d’une émission de radio, il y sera forcément question de pédophilie…
Bref, Notre jour viendra cherche à sentir le roussi mais n’exhale qu’une odeur de moisi. Adoptant le point de vue d’un sociopathe qui considère les autres comme des objets ou des obstacles et qui ne se sent vivre qu’en les provoquant et les avilissant, la mise en scène et le scénario invitent le spectateur à jouir du spectacle d’humiliations de plus en plus abjectes imposées à des quidams systématiquement présentés comme mous, lâches, médiocres – bref : méritant bien ce qui leur arrive. Le summum de la subversion est censé être atteint quand Patrick vient pisser avec un sourire pervers dans le jacuzzi où se baignent une jeune femme handicapée et son compagnon, tenus en respect avec une arbalète – ou quand une petite fille renfrognée assiste à une partouze. Courageux, n’est-ce pas ?
Dès lors, les prétentions allégoriques de Notre jour viendra apparaissent, au mieux, comme de la pure tartuferie. On espère sincèrement pour Romain Gavras et son coscénariste Karim Boukercha qu’ils ne sont pas dupes de l’impertinence politique de leur film. Qu’ils sont conscients de n’exhiber ce que l’air du temps peut avoir de plus rance (racisme, communautarisme, sexisme, homophobie) que pour tenter de se dédouaner du regard uniformément méprisant qu’ils portent par ailleurs sur le monde et les gens. « J’ai juste essayé de faire un film moderne qui capture le brouillard mental de l’époque » explique Gavras dans le dossier de presse. Certes, d’une certaine manière, il y est parvenu. Mais ce n’est pas le produit de ses efforts qui permettra d’y voir plus clair, ni surtout d’espérer une éclaircie.
Si ce film ne servait qu’à étaler de pauvres fantasmes humides (la séquence avec les trois jeunes Anglaises fait vraiment pitié), et à se gargariser de quelques fausses audaces nihilistes, ce ne serait encore pas trop grave. Mais Notre jour viendra, au titre délicieusement révélateur de la volonté des auteurs de se faire une place au soleil dans le champ du cinéma français, instrumentalise la misère morale et sociale avec une inconséquence inexcusable. Comme chez les réalisateurs « groslandais » (Kervern, Delépine et compagnie), avec qui Gavras partage une fascination pour le nord de la France dépeint comme forcément lugubre et déshérité, le sort des pauvres et des marginaux n’est ici qu’un prétexte à déployer une poésie de pacotille, avec envolées lyriques et morceaux de musique classique censés sublimer la laideur et la médiocrité ambiantes. Cette volonté de réaliser une « œuvre d’art » au détriment de personnages souffrants et aliénés achève de rendre ce film définitivement insupportable.